L'avare fastueux/Atto II

Atto II

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Atto I Atto III
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ACTE SECOND.

SCÈNE PREMIÈRE.

Dorimène, Léonor.

Dorimène. Venez, ma chère Léonor. Je serois bien aise de vous entretenir un instant en particulier; mon frère est sorti, je crois... je vais voir....

Léonor. (A part) Ciel! que voudra-t-elle de moi? elle me marque de l’amitié; mais l’interêt qu’elle prend à son frère ne me laisse rien entrevoir de satisfaisant dans l’entretien que nous allons avoir.

Dorimène. (Après l'avoir regardée) Savez-vous bien, mon enfant, que je vous trouve trop rêveuse1 et trop triste pour votre âge?

Léonor. C'est mon naturel, madame. [p. 324 modifica]

Dorimène. Cela se peut. Mais quand vous êtes arrivée à Paris, votre air n’étoit pas si sombre, vous avez changé, et certainement vous avez du chagrin.

Léonor. Madame, je ne aperçois2 pas de ce changement.

Dorimène. Eh ma chère enfant, vous me cachez la verité. Vous vous méfiez de moi. Rendez-moi plus de justice, et ne croyez pas, que pour avoir entamé un projet de mariage entre vous et mon frère, j’aie la sotte 3 ambition de le faire réussir aux dépens de votre tranquillité. Ouvrez-moi votre coeur, parlez-moi sincèrement, et vous verrez si vous avez a faire à une amie.

Léonor. (A part) Si je pouvois m’y fier... mais non.

Dorimène. Vous sentiriez-vous quelque répugnance pour mon frère?

Léonor. Madame.... il n’y a pas longtems que j’ai l’honneur de le connoître.

Dorimène. Son âge, par exemple, ne vous paroit-il pas un peu trop avancé par rapport au votre?

Léonor. Son âge, madame! l’âge n’y fait rien, je crois.

Dorimène. Vous auroit-on dit que Chateaudor est un peu trop econome?

Léonor. Eh, madame, vous le savez que4 je suis née et elevée dans l’economie.

Dorimène. (Avec une gaîté affectée) Je vois donc, mademoiselle5 à ma très-grande satisfaction que jusqu’à présent je m’étois trompée sur votre compte, et que vous serez heureuse avec mon frère.

Léonor. (Agitée) Je n’en sais rien, madame.

Dorimène. Allons, mademoiselle, parlons sans feinte; je connois votre coeur malgré vous, il me parle et... Savez vous ce qu’il me dit actuellement.

Léonor. (Avec crainte) Quoi, madame?

Dorimène. Qu’il est prévenu pour un autre que mon frère.

Léonor. (En tremhlant) Moi, madame! [p. 325 modifica]

Dorimène. Oui, vous même, et votre trouble en confirme l’aveu.

Léonor. (A part) Ciel! me serois-je trahie? (à Dorimène) Ah! madame, qu’allez vous imaginer? iriez-vous le dire à ma mère? je serois perdue.

Dorimène. Non, non, ne craignez rien. Malgré le peu de confiance que vous m’avez témoigné, je vous aime trop pour chercher à vous faire de la peine... Mais voilà madame Araminte, nous causerons, nous verrons.

SCÈNE II

Dorimène, Léonor, Araminte.

Araminte. Eh bien, ma fille, ne finirez vous pas d’importuner madame?

Léonor. Je vous demande pardon.

Dorimène. C’est moi, madame, qui l’ai priée de me tenir compagnie.

Araminte. Vous avez bien de la bonté, madame; mais elle est devenue depuis peu si sombre, si triste.....

Dorimène. C'est qu’apparemment mademoiselle ne se porte pas bien; l’air de Paris peut-être ne lui est pas favorable.

Araminte. Point du tout. Depuis que je l’ai retirée chez moi, elle n’est plus reconnoissable, rien ne l’amuse, rien ne la distrait, point de chant, point de harpe, point de lecture. Je n’ai rien épargné, madame, pour lui donner des talens, et je l’ai fait avec le plus grand plaisir, attendu qu’elle avoit des dispositions très-heureuses; mais à présent qu’elle a tout negligé, cela me cause le plus grand chagrin, car autant j’aime les dépenses utiles, autant je regrette l’argent qui est mal employé.

Léonor. (A part) Elle a raison, je ne me reconnois plus moi même.

Dorimène. Vous verrez, madame....

Araminte. Si elle regrette le couvent, elle n’a qu’à parler.

Dorimène. Non, non, madame; je ne crois pas que cela lui cause la moindre peine.

Araminte. Mais d’où vient donc, ma fille, cette inaction, cette indolence, cette paresse? vous allez vous marier, vous allez [p. 326 modifica]

prendre sur vous les soins du ménage, cela demande de l’activité, de la gaîté même. Vous me voyez quand je suis chez moi, je suis debout du matin au soir. Je monte, je redescends, je vois par tout, je vois tout. Je fais, j’ordonne, je gronde quelques fois, et tout cela va à merveille.

Léonor. (A part) Je m’étois bien proposé... mais tout est perdu pour moi.

Dorimène. Vous verrez, madame, que quand mademoiselle aura le coeur content....

Araminte. Mais quand l’aura-t-elle?... A propos, n’est-ce pas aujourdhui que nous devons signer le contrat?

Dorimène. Voilà monsieur de Chateaudor, madame, vous le saurez de lui.

Léonor. (A part) Que je suis malheureuse!


SCÈNE III.

Léonor, Araminte, Dorimène, Chateaudor, un Bijoutier

Chateaudor. Quel bonheur, mesdames, de vous trouver ici rassemblées; j’ai besoin de vous consulter, et sans cette heureuse rencontre j’allois monter chez ma soeur pour vous demander votre avis.

Araminte. Voyons, voyons6, les femmes en donnent quelques fois de fort bons.

Chateaudor. (Au Bijoutier) Monsieur, faites voir à ces dames les diamans dont nous sommes convenus.

Le Bijoutier. (Montrant l’écrin ouvert à Dorimène) Voyez, madame, si l’on peut rassembler des diamans plus égaux, et plus parfaits?

Chateaudor. Je vous prie de me dire, si j'ai bien choisi, et si la garniture est complète7

Dorimène. (Tenant l’écrin) Pour moi je trouve cela on ne peut pas mieux. (à Léonor) Qu’en dites-vous, mademoiselle?

Léonor. Je ne m’y connois pas, madame. [p. 327 modifica]

Araminte. Voyons, voyons, je m’y connois bien moi. Je n’en ai jamais porté, mais il m’en a passé par les mains pour des millions... Oui, ils sont beaux, l’eau en est belle, l’assortiment est complet... et combien tout cela, monsieur? (elle rend l’écrin à Chateaudor).

Chateaudor. Oh, pour le prix, madame, c’est un secret entre le marchand et moi.... (au Bijoutier) n est-ce pas, monsieur?

Le Bijoutier. Monsieur, je n’ai rien à dire là-dessus.

Araminte. (A part) Tant pis. Il sera trompé. Pourquoi demande-t-il des conseils, s’il n’en veut pas?

Chateaudor. (Bas au Bijoutier) Monsieur, voudriez-vous bien me confier vos diamans pour trois ou quatre jours?

Le Bijoutier. Monsieur8, si ces dames les trouvent à leur gré....

Chateaudor. Mais, monsieur9 on n’achète pas des diamans pour une somme aussi considérable sans les faire voir, et sans consulter ses amis; ne me connoissez-vous pas, monsieur, auriez-vous quelque difficulté?

Le Bijoutier. Pardonnez-moi, monsieur, vous en êtes10 le maître.

Chateaudor. Ayez la complaisance de revenir a la fin de cette semaine: le prix en est fait. Vous aurez les diamans, ou l’argent.

Le Bijoutier. (En sortant) Cela suffit, monsieur.

SCÈNE IV.

Les précédans11 excepté le Bijoutier.

Chateaudor. (A part) Cela va à merveille. (à Léonor) Mademoiselle voudra-t-elle bien se donner la peine de mettre aujourdhui les diamans que j’ai l’honneur de lui présenter?

Dorimène. Aujourdhui!

Chateaudor. Oui, madame, aujourdhui, jour de la signature du contrat. Nous aurons vingt personnes à dîner.

Araminte. Vingt personnes!

Chateaudor. Au moins, madame. [p. 328 modifica]

Araminte. (A part) Quelle sottise....12 mais je lui parlerai.

Chateaudor. (Présentant l’ecrin à Dorimène) Voudriez-vous bien, ma soeur, me faire l’amitié de vous en charger, et de prendre sur vous le soin d’en parer mademoiselle? et vous, ma chère Léonor.... le permettrez vous? m’accorderez-vous cette grâce?

Léonor. (Très-froidement) Monsieur, ma mère n’a jamais porté des diamans.

Araminte. Allons, allons, cela ne fait rien, ma fille. Si je n’en ai pas porté, c’est que j’ai eu un mari prudent qui a jugé à propos de ne pas m’en donner. Si monsieur pense différemment, vous ne pouvez pas les refuser.

Léonor. Mais vous savez, ma mère....

Araminte. Je sais, je sais.... je sais bien des choses que vous ne savez pas. Soyez honnête, prenez-les, et remerciez monsieur.

Léonor. (A part) Que je suis malheureuse! (haut et froidement) Monsieur, je vous suis bien obligée 13.

Dorimène. (Bas à Chateaudor) Eh bien, êtes-vous content de la reception?

Chateaudor. Oui.

Dorimène. (Bas à Chateaudor) Cette froideur ne vous inquiète pas, mon frère?

Chateaudor. Point du tout, ma soeur.

Dorimène. (A part) Quel homme!

SCÈNE V.

Les précédans, Frontin.

Frontin. Monsieur, voici une lettre.

Chateaudor. (Prenant la lettre) Permettez-vous, mesdames?

Araminte. Faites, monsieur, faites. (à Dorimène) Voyons encore une fois ces diamans. (elles examinent les diamans pendant que Chateaudor lit.) [p. 329 modifica]

Chateaudor. (Après avoir lu, à part) Peste soit du marquis! après un repas de vingt personnes, irai-je encore lui apprêter un souper?

Dorimène. Mon frère, qu’avez-vous? vous me paroissez agité?

Chateaudor. (En se contreignant) Point du tout14: c’est avec le plus grand plaisir que je reçois une annonce très-agréable pour moi. Le marquis de Court-bois me demande à souper pour aujourdhui.

Léonor. (A part) Oh ciel!

Araminte. Le marquis de Court-bois je le connois. Son chàteau est à une lieue 15de ma maison de campagne.

Chateaudor. Vous le verrez ici ce soir avec mademoiselle sa fille, et le vicomte son fils.

Léonor. (A part avec agitation) Le vicomte!

Chateaudor. Ils arriveront à tems, j’espère, pour assister à la signature de notre contrat.

Léonor. (A part) Ah quel moment! quel moment pour moi. Ciel! je sens que mon coeur....

Araminte. (Avec émotion) Qu’avez-vous, ma fille?

Léonor. Rien, madame, c’est un petit étourdissement qui m’a pris!

Chateaudor. (Avec empressement) Voyez, madame... (bas à Frontin) Ne t’en va pas.

Araminte. Sortons, sortons; il faut prendre l’air16 (elle sort avec Léonor et Dorimène)

SCÈNE VI

Chateaudor, Frontin.

Chateaudor. (Bas) Il faut profiter de tout. (haut à Frontin) Ecoutes. Envoye tout de suite avertir ceux qui sont priés, qu’une affaire très-pressante17 m’étant survenue18, ce n’est pas pour diner, mais19c’est pour ce soir a souper que je les prie de nouveau. [p. 330 modifica]

Frontin. On ne trouvera pas tout ce moncle là à l’heure qu’il est.

Chateaudor. Cela est égal. Ceux qui se présenteront pour diner reviendront, ou ils ne reviendront pas.

Frontin. Il n’y a pas le mot à dire là dessus. (il sort)


SCÈNE VII.

Chateaudor seul

Cela va à merveille20. Il faut savoir tirer parti des événemens, mais voilà madame Araminte qui revient21.


SCÈNE VIII.

Chateaudor, Araminte.

Araminte. Ce n’est rien, ce n’est rien. Ma fille se porte bien.

Chateaudor. Madame.... j’en suis enchanté... mais il faut toujours ménager la santé de mademoiselle. J’ai suspendu le diner, et envoyé avertir tout mon monde pour ce soir.

Araminte. Et vous aurez vingt personnes à votre souper?

Chateaudor. Je l’espère, madame.

Araminte. Permettez-vous que je vous parle à coeur ouvert, et que je vous dise ce que je pense?

Chateaudor. Je vous en prie très-fort, madame.

Araminte. N’est-ce pas une folie 22 de donner à dîner ou à souper à vingt personnes dont la moitié au moins se moqueront de vous?

Chateaudor. Ils se moqueront de moi, madame?

Araminte. Sans doute; tenez; je ne suis point avare moi, il s’en faut de beaucoup, mais je ne puis souffrir qu’on jette l’argent mal à propos.

Chateaudor. Mais, madame, dans un jour comme celui-ci...

Araminte. Sont-ce des parens, que vous avez priés?

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Chateaudor. Non, madame, il y aura des gens titrés, des gens de lettres, des gens de robe, enfin des personnes de la première distinction.

Araminte. Tant pis, tant pis. C’est une folie, c’est de la vanité toute pure, mon ami. Vous ne connoissez pas le prix de l’argent.

Chateaudor. (Un peu étonné) Moi, madame!

Araminte. Oui, oui, vous. Votre soeur m’a trompé; elle m’a dit que vous étiez econome, et je l’ai cru sur sa parole. Autrement je n’aurois jamais accordé ma fille à un homme aussi vain, aussi dépensier que vous l'êtes.

Chateaudor. Moi dépensier, madame?

Araminte. Je m’en suis toujours douté, sur tout quand j’ai vu que vous aviez donné des sommes considérables pour acheter un titre qui ne produit presque rien.

Chateaudor. Comment, madame; est-ce que vous n’en êtes pas flattée? ce titre n’apportera-t-il pas un avantage réel aux enfans de votre fille?

Araminte. Point du tout23. J’aurois mieux aimé vous donner ma fille quand vous n’étiez24 que monsieur du Colombier ancien bourgeois, qu’à présent que vous êtes monsieur de Chateaudor nouveau gentilhomme.

Chateaudor. Mais, madame...

Araminte. Oui, vos pères ont bati, et vous allez détruire.

Chateaudor. Moi détruire! vous étes dans l’erreur, madame.

Araminte. Eh point, point. Tenez, je gage que sans vous connoître en diamans, et sans vous consulter, vous allez être la dupe de ce bijoutier.

Chateaudor. Oh pour ces diamans là, madame....

Araminte. Oh pour ces diamans là.... je vous vois venir, c’est la parure de madame de Chateaudor... Et qu’est-ce que madame de Chateaudor? Ma fille, monsieur, a été élevée bien comodement, mais modestement. Nous avons toujours tout donné à la bienséance, à l’honnêteté, à la décence, et rien au faste, [p. 332 modifica] rien à la vanité. La parure de ma fille a toujours été la sagesse, et je me flatte qu’elle ne démentira jamais l’éducation que je lui ai donnée.

Chateaudor. (Un peu piqué) Mais, madame....

Araminte. (Avec vivacité) Mais, monsieur.... (changeant de ton) Je vous demande pardon, je m’échauffe un peu trop peut-être, mais je vous vois dans un train de dépense qui me fait trembler. Il s’agit de ma fille, il s’agit de cent mille écus de dot, que je lui donne.

Chateaudor. (Toujours piqué) Eh n’ai-je pas assez de fonds?....

Araminte. Oui, oui, des fonds. On les mange les fonds, vous principalement qui avez la manie d’être généreux, d’être grand, d’être magnifique.

Chateaudor. Mais encore une fois, madame, vous ne me connoissez pas.

Araminte. Eh, si vous étiez différent de ce que vous êtes, j’avois un projet charmant à vous proposer. Telle que vous me voyez, j’ai vingt cinq mille livres de rente à moi toute seule, je me serois mise en pension chez vous, j’aurois vécu25 avec ma fille, et nous aurions fait un ménage excellent, mais avec un homme comme vous...

Chateaudor. (A part, et faché) C’est26 désespérant.... (à Araminte) Ecoutez moi, madame, (bas avec vivacité) Vous vous trompez sur mon compte: il y a peu d’hommes qui connoissent l'economie aussi bien que moi, et vous verrez par vous même...

Araminte. Je ne verrai rien. Vous voudriez m’en imposer, mais vous n’y réussirez pas. Pour ma fille... je vais la voir.... je l’ai promise, et nous verrons cela. Mais ne comptez pas sur moi, car pour tout l’or du monde je ne voudrois pas avoir à faire à un homme qui jette son argent par les fenêtres. (elle sort)

Chateaudor. Je n’aurois jamais cru devoir passer pour prodigue.

Fin du Second Acte.

  1. Manoscritto: reveuse.
  2. Manoscritto: apperçois.
  3. Manoscritto: sote.
  4. Questo que nel manoscritto è cancellato.
  5. Mademoiselle è cancellato.
  6. Parole cancellate.
  7. Nel manoscritto: complette
  8. Parola cassata.
  9. Parola cassata nel manoscritto.
  10. Manoscritto: etes.
  11. Così nel ms.
  12. Manoscritto: sotise.
  13. Alcune di queste parole furono cassate nel manoscritto, dove ora si legge soltanto: "Léonor (Froidement) Monsieur, je vous suis bien obligée"
  14. Parole cassate.
  15. Manoscritto: lieüe.
  16. Queste ultime parole furono cancellate nel manoscritto..
  17. Manoscritto: très pressant
  18. Nel manoscritto da prima si leggeva così: Envoye tout de suite avertir ceux qui sont priés pour diner, qu’on s’est trompé, que etc.
  19. Prima leggevasi:mais que.
  20. Parole cancellate.
  21. Prima leggevasi mais voici mad.e Araminte.
  22. Nel manoscritto: follie.
  23. Parole cassate.
  24. Manoscritto: etiés.
  25. Manoscritto: vecue.
  26. Prima leggevasi: Mais cela est etc.