Rivista di Scienza - Vol. I/Les liquides cristallisés
Questo testo è stato riletto e controllato. |
◄ | Questions pédagogiques: L'enseignement secondaire | La selezione naturale | ► |
LES LIQUIDES CRISTALLISÉS
Si peu familiarisé que l’on soit avec les choses de la nature, on a toujours eu l’occasion d’admirer des cristaux de quartz, de spath d’Islande, limités par des faces planes réfléchissant vivement la lumière, et donnant à ces corps une régularité de forme tout à fait inattendue. Si l’on ajoute que ces contours polyédriques sont souvent accompagnés des couleurs les plus franches, les plus vives, comme celles de l’émeraude, du rubis, etc., on comprend sans peine l’admiration des nombreuses personnes, qui n’hésitent pas à consacrer des sommes importantes à la réunion de ces beautés naturelles.
Mais ce n’est pas seulement au point de vue esthétique que ces formes régulières, ces couleurs présentent de l’intérêt: de tout temps, elles ont attiré l’attention des savants, qui, limités au début dans leurs moyens d’investigations, devaient se contenter d’étudier les caractères extérieurs. Quoique bien persuadés que ces faces planes ne peuvent être l’effet du hazard, qu’elles doivent découler d’un état particulier de la matière constituante, autrement dit de la structure, les cristallographes, astreints à n’étudier que les formes polyédriques, à rechercher les lois qui les régissent, pensèrent longtemps que leur existence pouvait seule caractériser l’état cristallisé.
Mais des recherches plus approfondies, montrèrent que des corps possédant l’ensemble des propriétés, que l’on retrouve dans le quartz par exemple, pouvaient très bien présenter une forme quelconque, et que par conséquent de la présence ou de l’absence des faces planes on ne pouvait rien préjuger.
Heureusement les recherches, qui eurent pour résultat de faire passer l’existence des faces au second plan, révélèrent dans les corps cristallisés tout un ensemble de propriétés pouvant servir à les caractériser, et l’on peut aujourd’hui définir ces corps de la façon suivante: Un corps cristallisé est homogène, c’est à dire qu’il possède les mêmes propriétés en tous ses points et suivant toutes les droites parallèles, ce qui exclut de la définition les roches, telles que le marbre ou le granit, qui sont bien cristallisées, mais qui doivent être considérées comme des associations de cristaux. En second lieu, les corps cristallisés sont anisotropes, en vertu de leur structure même, c’est à dire que leurs propriétés suivant des droites et des plans non parallèles ne sont pas identiques. Ne rentrent donc pas dans la définition les corps dont l’anisotropie est due à l’action de forces extérieures ou à la présence dans leur masse de corps étrangers tels le verre comprimé, la cellulose, etc.
Comme on le voit, le degré de dureté n’intervient en rien dans la définition et en effet les corps cristallisés peuvent présenter tous les degrés de cohésion: les uns sont solides, les autres relativement mous comme l’azotate d’ammonium, le camphre, etc.; ils peuvent être mous et avoir la consistence de l’huile d’olive, ou être tout fait liquides comme le p-azoxyanisol, etc. Les cristaux d’oxyhémoglobine sont un exemple très frappant des variations de consistance: frais, ils sont mous comme de la cire; exposés un instant à l’air, ils deviennent solides et cassants, sans que les autres propriétés soient modifiées. On reviendra d’ailleurs plus loin sur ce point, mais ce que nous devons faire remarquer de suite, c’est que les corps cristallisés solides sont susceptibles de présenter des caractères spéciaux: ils peuvent être limités par des faces planes satisfaisant à certaines lois, et on leur donne alors le nom de cristaux.
Or ces propriétés, propres aux corps cristallisés solides, présentent un caractère commun, qui permet de les distinguer des propriétés communes à tous les corps cristallisés. D’une part en effet, la vitesse de la lumière, la conductibilité calorifique, la conductibilité électrique, la magnétique, la dilatation, etc., varient avec la direction, mais ces variations sont continues, quand la direction change elle-même progressivement. Au contraire, les propriétés propres aux corps solides varient d’une façon discontinue: si un plan est susceptible d’être une face, il n’en est pas de même des plans voisins; si un corps cristallisé possède un plan de clivage, cette propriété ne se retrouve pas, même atténuée, dans les plans voisins; enfin les arêtes d’un cristal font toujours entr’elles des angles finis. Il y a donc une distinction profonde entre ce groupe de propriétés propres aux corps solides et le précédent commun à tous les corps cristallisés. Mais il n’en faudrait pas conclure que le second groupe de propriétés peut servir à caractériser les véritables corps cristallisés à l’exclusion des autres, car certains corps, comme l’azotate d’ammonium, peuvent, suivant les conditions de cristallisation, les posséder ou non sans que les autres propriétés soient modifiées.
Or, consciemment ou non, les auteurs qui se sont occupés de la structure cristalline, se sont appuyés exclusivement sur les propriétés du second groupe, sur les propriétés des formes cristallines pour établir leurs théories.
Cela d’ailleurs se comprend facilement, si l’on songe que les lois, auxquelles satisfont les formes cristallines, sont susceptibles de recevoir une expression mathématique très simple et se prêtant facilement aux déductions. Au contraire nous ignorons le plus souvent les conditions de structure nécessaires pour qu’un corps présente les propriétés du premier groupe: on sait bien que si la matière est répartie symétriquement autour d’un axe d’ordre 3 ou 4, le cristal sera uniaxe au point de vue optique; mais ce n’est qu’une solution particulière du problème, car bien des cristaux sont uniaxes pour une couleur sans que nous puissions en retrouver la cause dans la structure. Si nous connaissons les conditions que doit remplir un cristal uniaxe pour faire tourner le plan de polarisation, il n’en est plus de même pour un cristal cubique ou pour un biaxe. Il serait facile de multiplier ces exemples. Il est donc tout naturel que les cristallographes se soient appuyés sur les propriétés du second groupe, se contentant de vérifier que leurs résultats ne sont pas en désaccord avec celles du premier. Mais il en est résulté que peu à peu les esprits même les plus clairvoyants se sont écartés de la définition et ont considéré la discontinuité de certaines propriétés comme essentielle et caractéristique de l’état cristallisé. Aussi, quand M. Lehmann annonça la découverte de cristaux liquides, se fut un tolle général, et un écrivain put écrire la phrase suivante résumant l’opinion dominante: «La vue de ce titre (Les cristaux liquides) procurera à quelques lecteurs une douce gaîté et ils se demanderont, en passant mon article, comment une revue sérieuse peut elle insérer une élucubration si contraire au bon sens. Pour me disculper, je répondrai comme l’écolier pris en faute: je n’y suis pour rien, adressez vous à l’auteur de cette bizarre dénomination, le docteur Lehmann de Carlsruhe».
Il fallut en effet 25 ans de travail assidu, de recherches les plus minutieuses pour arriver à battre en brèche les idées préconçues, et à convaincre le monde savant que les corps cristallisés peuvent présenter tous les degrés de cohésion. La découverte de M. Lehmann est certainement une des plus importantes du siècle dernier; ses conséquences sont nombreuses et de premier ordre et elles permettent en particulier de préciser nos connaissances sur la structure des corps cristallisés. Mais avant d’aborder l’objet de cet article, il est nécessaire de rappeler, en deux mots, les idées admises sur la structure des corps cristallisés solides, pour montrer qu’elles ne sont nullement en contradiction avec l’existence des liquides cristallisés.
Haüy et ses prédécesseurs ont reconnu, grâce à de nombreuses observations, que les faces des formes cristallines satifaisaient aux lois suivantes, qu’il est inutile d’expliquer ici:
- loi de la convexité des angles dièdres;
- loi de la constance de ces angles dièdres;
- lois des indices rationnels;
- loi de symétrie.
Haüy rechercha la structure susceptible d’expliquer ces lois, et pensa la trouver dans la considération des plans de clivage, mais la structure admise par lui reste impuissante devant les particularités des formes cristallines dites mériédriques. Il fallait donc modifier cette hypothèse, sans lui faire perdre ses avantages; c’est ce qui fut fait de la façon suivante par Bravais, dont l’hypothèse repose sur la considération des réseaux. Je rappelerai donc qu’un réseau est un ensemble de trois systèmes de plans, les plans de chaque systèmes étant parallèles et équidistants. Un tel réseau divise l’espace en parallélépipèdes juxtaposés, que l’on nomme les mailles du réseau, tandis que les sommes de ces mailles s’appellent les nœuds, et les plans passant par trois nœuds ont reçu le nom de plans réticulaires. Bravais fait remarquer que l’homogénéité entraîne la présence dans le corps cristallisé d’un grand nombre de points jouissant des mêmes propriétés, c’est à dire autour desquels la matière est également répartie. De cette égalité de répartition de la matière autour de ces points, dits points homologues, il résulte immédiatement qu’ils sont répartis dans l’espace de façon à coïncider avec les nœuds d’un réseau; il en est ainsi en particulier des centres de gravité des molécules, qui sont toutes parallèlement orientées. La structure imaginée par Bravais est, comme on le voit, des plus simples et si l’on admet que les faces et les plans de clivages coïncident avec des plans réticulaires, elle permet d’expliquer toutes les particularités des formes cristallines, aussi bien les mériédriques que les holoédriques; elle montre pourquoi ces formes ne possèdent que des axes d’ordre 2, 3, 4, et 6. La répartition réticulaire explique donc bien les propriétés, qui varient d’une façon discontinue, mais en est-il de même des autres ou plutôt est-elle nécessaire pour expliquer les autres? Pour résoudre cette question importante revenons à notre point de départ. L’expérience nous montre que dans un corps cristallisé tous les points jouissent des mêmes propriétés; il n’en est évidemment pas ainsi dans un corps possédant la structure réticulaire, puisque autour de deux points d’une même molécule, par exemple, la matière n’est pas en général également répartie. Mais cette divergence peut facilement s’expliquer: il ne faut pas oublier en effet que nous sommes dans l’impossibilité de déterminer les propriétés d’un corps en un point; tout ce que nous pouvons faire, c’est déterminer les moyennes des propriétés des points compris à l’intérieur d’une petite sphère. Si donc celle-ci renferme un grand nombre des différents points que l’on peut distinguer dans le corps, cette moyenne sera constante. De même deux droites parallèles, issues de deux points non homologues, ne seront pas identiques, mais comme nous ne savons déterminer que la moyenne des propriétés des droites comprises dans un petit cylindre parallèle à la direction considérée, cette moyenne sera constante si le cylindre renferme un grand nombre des différentes droites que l’on peut distinguer. Mais alors, si partant d’un corps présentant la répartition réticulaire, nous déplaçons ses molécules parallèlement à elles-mêmes, de façon que leurs distances respectives restent du même ordre de grandeur, il est évident que les conditions ci-indiquées seront encore remplies après le déplacement et par conséquent les moyennes seront encore constantes. Donc, en détruisant la répartition réticulaire, nous ne faisons disparaître que les propriétés découlant de l’existence du réseau, c’est à dire les propriétés variant d’une façon discontinue, tandis que les autres propriétés subsistent tant que les molécules restent parallèles.
A vrai dire, la théorie de Bravais se butte à des difficultés, bien difficiles à résoudre, quand on veut expliquer certaines propriétés des corps cristallisés telles que l’isomorphisme, le polymorphisme, etc., mais toutes ces difficultés disparaissent, en modifiant légèrement cette théorie. Il suffit en effet d’admettre que chaque molécule est remplacée par un groupe de molécules; tous ces groupes étant identiques, et parallélement orientés, et susceptibles de posséder des éléments de symétrie, résultant du mode de répartition des molécules; ces groupes de molécules ont reçu le nom de particules cristallines.
Si ces particules sont réparties suivant les nœuds d’un réseau, le corps possèdent les deux sortes de propriétés que nous avons reconnues dans les corps cristallisés; si elles sont simplement orientées parallélement, le corps ne possède que les propriétés variant d’une façon continue; tous ces corps rentrant d’ailleurs dans la définition, donnée au début. Mais dira-t-on: on ne doit considérer, comme cristallisés que les corps présentant réunies toutes les propriétés, les autres doivent constituer un nouveau groupe de corps très intéressant, mais distinct du groupe des corps cristallisés. Pour que cette distinction puisse être admise, il ne faudrait pas qu’un même corps puisse être arbitrairement placé dans l’un ou dans l’autre de ces deux groupes. Faisons cristalliser de l’azotate d’ammoniaque entre deux lamelles de verre, en cristaux assez minces pour présenter des teintes de polarisation chromatique, comprimons-le avec la pointe d’un scalpel, nous verrons la teinte baisser dans l’échelle de Newton, tout en restant uniforme et l’examen en lumière convergente nous montrera que l’orientation du cristal n’a pas changé. L’azotate d’ammoniaque peut donc cristalliser, de façon que ses particules soient ou ne soient pas soumises à la répartition réticulaire: dans le premier cas il aura des faces planes, dans le second il n’en aura pas. On verra plus loin d’autres exemples plus frappants du même fait. Autrement dit, dans la cristallisation deux sortes de forces interviennent, les unes d’orientation, les autres d’attraction; suivant la nature du corps, la température, la pression, ces forces varient d’intensité, et en général, lors de la fusion du corps, en même temps que les forces d’attraction diminuent beaucoup, les forces d’orientation disparaissent. Mais pour certains corps ces dernières subsistent après la fusion, et l’on se trouve en présence d’un corps cristallisé liquide.
Cette introduction, que l’on trouvera bien longue, était cependant nécessaire pour montrer que rien dans les théories cristallographiques ne s’oppose à ce que l’on admette l’existence des cristaux liquides: toutes les difficultés que l’on a soulevées, proviennent d’une trop grande confiance dans la partie mathématique de ces théories, qui, comme presque toujours, cache le côté physique de la question.
Le premier exemple de cristal liquide mon a été signalé par M. Lehmann en 1877: il a montré à cette époque que l’iodure d’argent, qui à la température de 146° devient assez mou pour avoir été longtemps considéré comme un liquide visqueux, est en réalité cristallisé, le plus souvent en octaèdres. Mais ces cristaux mous présentant de véritables formes cristallines et étant monoréfringents, la remarque de M. Lehmann passa complètement inapercue, malgré son importance, et il fallut la découverte d’un liquide biréfringent, faite en 1888 par M. Reinitzer, pour attirer l’attention des cristallographes et des physiciens. Ce savant constata en effet que le benzoate de choléstérine donnait naissance, à la température de 145°,5, à un liquide très biréfringent, qui à la température de 178°,5 devenait isotrope. Depuis on a découvert d’autres corps jouissant des mêmes propriétés, et leur étude a donné lieu à de nombreux travaux. Les résultats des recherches ont été ces dernières années longuement exposées dans deux ouvrages remarquables, publiés par les savants qui se sont le plus occupés de la question, MM. Lehmann et Schenck1. Le premier s’est surtout placé au point de vue cristallographique: il a fait une étude détaillée de ces liquides si curieux, et en a tirer de nombreuses conclusions intéressant aussi bien les cristaux solides que les liquides. M. Schenck au contraire s’est adonné à la détermination des constantes physiques, de sorte que les deux ouvrages se complètent de la façon la plus heureuse. Depuis plusieurs auteurs ont découvert et étudié de nouveaux corps dont les proprietés sont venues pleinement confirmes les deduction de M. Lehmann; parmi ces savants, il est juste de citer MM. F. M. Jaeger et D. Vorländer.
M. Lehmann distingue, dans l’exposé des propriétés, les cristaux mous des cristaux liquides. Les premiers présentent des formes propres, des formes cristallines, qui ne différent de celles des cristaux solides, qu’en ce que les faces et les arêtes sont courbes; les seconds, comme tous les liquides, n’ont pas de formes propres, et s’ils sont en suspension dans un autre liquide, ils affectent la forme de gouttes sphériques. Mais il n’y a pas de différences absolue entre ces deux groupes, puisque un même corps suivant le milieu ou s’effectue la cristallisation peut présenter on ne pas présenter de formes cristallines. Aussi distinguerons nous les corps cristallisés liquides, qui sont homogènes, mais dont on peut modifier la forme extérieure sans changer les propriétés, et les gouttes anisotropes, qui ne sont pas homogènes, possèdent une structure toute spéciale et que l’on doit distinguer des corps cristallisés aussi bien que des corps amorphes.
Corps cristallisés liquides.
Nous n’avons pas l’intention de décrire ici tous les corps cristallisés liquides que l’on a découverts; outre que cette description amènerait de nombreuses redites, nous ne pourrions avoir la prétention d’être complet, puisque tous les jours on obtient de nouveaux liquides jouissant des mêmes propriétés. Nous ne donnerons donc que les exemples les plus frappants, se prêtant à des conclusion intéressantes.
Les oléates alcalins sont généralement cristallisés; il suffit pour s’en convaincre d’écraser une parcelle de savon entre deux lamelles de verre ot de l’examiner au microscope polarisant, pour constater que la substance est nettement biréfringente. Mais ce n’est pas là le moyen à employer pour obtenir des résultats concluants. Si l’on dissoud de l’oléate d’ammoniaque dans l’alcool à chaud, et qu’on laisse refroidir, on obtient des cristaux isolés, ayant la forme d’une double pyramide très allongée dont on n’a pu déterminer le nombre de faces et par suite le système cristallin. Ces cristaux, dont les faces et les arêtes sont courbes, polarisent vivement la lumière, et s’éteignent parallèlement à leur longueur; quand celle-ci est parallèle à l’axe du microscope, le cristal reste éteint dans toutes les orientations, ce qui permet de conclure à l’uniaxie optique. Pour étudier les propriétés optiques et cristallographiques, on peut d’ailleurs opérer autrement. L’oléate d’ammoniaque s’obtient en faisant passer un courant d’ammoniaque dans de l’acide oléique, légèrement étendu d’alcool. Si la saturation est complète, l’oléate se présente sous forme d’une substance jaune claire granuleuse, qui écrasée entre deux lamelles de verre se montre au microscope constituée d’une infinité de petites plages, à contours quelconques mais nets, aplaties perpendiculairement à un axe optique. Or, si l’on comprime une de ces plages, on y fait naître trois systèmes de macles, orientées à 120°, dont les limites sont absolument rectilignes. Deux conclusions resortent nettement de ces faits: tout d’abord le cristal est rhomboédrique, et en second lieu les particules y sont soumises à la répartition réticulaire. Mais il en est tout autrement si l’on malaxe l’oléate avec une petite quantité d’eau: les plages disparaissent, et si l’on écrase une parcelle de la matière entre deux lamelles de verre, on obtient une couche mince de substance trouble et présentant une polarisation d’agrégat. Mais la lamelle de verre exerce sur l’oléate une action d’orientation, et si l’on facilite cette action par des chocs répétés, au moyen d’une aiguille, on voit s’individualiser des plages homogènes, limpides et restant éteintes entre les nicols à 90°. Si l’on examine une de ces plages en lumière convergente, elle donne une croix noire et des anneaux colorés, qu’il n’est pas possible de distinguer de ceux donnés par la calcite, si ce n’est par le signe optique, qui dans l’oléate est positif. Cet oléate ainsi orienté est plus fluide et on peut le faire couler en agissant convenablement sur le couvre-objet. On constate alors que l’action de la lamelle de verre est suffisamment énergique pour maintenir l’orientation pendant l’écoulement et qu’en particulier les figures d’interférences, vues en lumière convergente ne sont nullement modifiées pendant l’écoulement. Nous décrirons dans un instant un exemple plus frappant du même phénomène . Mais nous pouvons conclure de suite que la petite quantité d’eau ajoutée a suffit pour détruire la répartition réticulaire sans modifier les propriétés optiques. Revenons aux cristaux isolés, obtenus par solution dans l’alcool; ils se prêtent à toute une série d’expériences intéressantes.
Tout d’abord, si l’on déforme un cristal, en le courbant, en le tordant, en le comprimant, dès que l’action mécanique cesse de s’exercer, le cristal reprend de lui-même sa forme primitive et son homogénéité, comme l’indique l’unité d’extension. Mais le fait le plus important consiste en ce que si la déformation est régulière, si par exemple on étire un cristal perpendiculairement à sa direction d’allongement, toutes les parties du cristal continuent à s’éteindre simultanément: on peut ainsi étirer un cristal en une longue bande homogène.
Si l’on sectionne l’un de ces cristaux, on voit immédiatement chacune des extrémités, provenant de la section, se modifier de façon que chaque fragment reprenne la forme du cristal primitif: des particules, faisant déjà partie de l’édifice se déplacent de façon à venir occuper la place des particules déficientes et à compléter le cristal qui se trouve simplement raccourci. Le cristal ainsi réparé est parfaitement homogène, et il ne reste pas trace du trouble momentané, que l’action mécanique a pu introduire dans sa structure.
En second lieu, lorsque deux cristaux se trouvent en proximité, on les voit tourner sur eux-mêmes de façon à devenir parallèles, puis se souder et se fusionner en un seul, qui en lumière polarisée se montre absolument homogène. Le mouvement de rotation, d’abord assez lent, devient si rapide que l’œil a peine à le suivre; il faut donc admettre que les deux cristaux exercent l’un sur l’autre une action d’orientation très énergique. C’est là un point d’une importance capitale qui nous permettra d’expliquer les principales propriétés des corps cristallisés liquides. Mais il est un cas où les deux cristaux ne se fusionnent pas, c’est celui où leurs directions d’allongement, leurs axes, sont à peu près perpendiculaires: on voit alors les cristaux s’orienter de façon que leurs axes soient rigoureusement à angle droit, et les cristaux se pénétrer de façons à constituer une macle. Les cristaux ne se fusionnent pas, dans leur partie commune, comme on peut le constater grâce au polycroïsme: quand l’un est jaune l’autre est incolore.
Les cristaux d’oléate que nous venons de décrire, s’observent à la température ordinaire, ce qui en facilite beaucoup l’étude. Mais en général, à cette température le corps est en cristaux solides et pour obtenir le corps cristallisé liquide, il faut le chauffer à une température déterminée, que nous appellerons la température de transformation, et ce n’est qu’à une température plus élevée, la température de fusion, que le liquide devient isotrope. Tel est le cas du p-azoxyphenétol: sur une lamelle de verre porte-objet, faisons fondre quelques cristaux de cette substance et recouvrons le liquide d’une lamelle couvre-objet. Par refroidissement nous obtiendrons des plages cristallisées solides, orientés différement. Elles sont polychroiques et leur teinte varie du jaune au blanc. Si nous chauffons la préparation, très lentement, à la température de 137°,5, chaque plage solide se transforme en une plage liquide. Les directions d’extention des plages liquides coïncident avec celles des plages solides; les plages liquides sont polychroïques et prennent une teinte jaune dans la même position que les plages solides. Enfin la biréfringence d’une plage liquide est bien un peu plus faible que celle de la plage solide, qui lui a donné naissance, mais il n’y a pas de variation brusque lors du passage. Celui-ci n’est donc pas accompagné d’une transformation du cristal solide en une autre espèce de cristal, qui serait liquide: c’est le même cristal qui de solide devient liquide, sans que ses propriétés soient modifiées. Il est déjà très curieux que les différentes plages liquides puissent rester côte à côte sans qu’il y ait fusion, mais bien plus, en poussant lentement la lamelle couvre-objet on peut faire chevaucher ces plages l’une sur l’autre, par suite de l’adérence du liquide au verre, sans que ces plages perdent leur individualité. Elles sont cependant bien liquides, car on voit des poussières se déplacer, sans d’ailleurs en rien troubler les phénomènes de polarisation chromatique; il ne faut pas oublier d’ailleurs que si la poussière dérange les particules cristallines de leur position, celles-ci en vertu de leurs actions réciproques doivent immédiatement reprendre leur orientation.
Il n’en est pas de même de l’éther p-azoxycynnamique qui, biaxe à la température ordinaire, devient uniaxe positif à 139°,5 en même temps qu’il passe à l’état liquide: le passage à l’état liquide est donc accompagné d’une transformation d’ordre cristallographique: le liquide est bien cristallisé, car la substance fondue dans un solvant, tel que le xylol, donne naissance a des prismes quadratiques basés, à faces courbes, tandisque l’éther azoxybromcynnamique, dissous dans la naphtaline bromée, cristallise sous forme de prisme quadratique. Mais ces deux substances présentent une particularité du plus haut intérêt, que nous avons déjà reconnue dans l’oléate d’ammoniaque, mais qui est ici beaucoup plus accentuée si on les fond entre deux lamelles de verre. Sous l’influence de la lame de verre qui recouvre le liquide, celui-ci s’oriente de façon que l’axe optique soit perpendiculaire sur la lame. Le liquide ne laisse donc pas passer la lumière entre les nicols à 90°, et la double réfraction ne peut être constatée qu’en lumière convergente. On voit par ce procédé la croix noire et les anneaux colorés des uniaxes et l’introduction du mica quart d’onde permet de constater que le liquide est positif. Mais le point intéressant consiste en ce que l’action d’orientation du verre est si énergique, que l’on peut secouer fortement la lamelle couvre-objet, sans modifier l’orientation du liquide sans modifier ses propriétés optiques pendant l’écoulement; ce n’est que sur le pourtour des bulles de gaz, englobées dans le liquide, que l’on aperçoit des éclairs rouges, verts, bleus, dus à la polarisation chromatique. Si d’ailleurs on chauffe le liquide au dessus de 248° degrés, de façon à le rendre isotrope, par refroidissement il cristallise sous forme de sphérolites, à croix noire, très biréfringents, formés de fibres allongées parallèlement à l’axe optique: en agitant la lamelle de verre, on détruit ces édifices cristallins, et les particules s’orientent, comme il a été dit.
Enfin un dernier corps, qu’il nous faut citer, est le propionate de choléstérine, qui offre des grandes analogies avec le précédent. Fondu entre deux lamelles de verre, il se présente à la température ordinaire sous forme de sphérolites radiés très biréfringents; chauffés lentement à 93°, ces sphérolites solides se transforment en sphérolites liquides, résultent constitués de cristaux uniaxes ayant une orientation déterminée par rapport aux cristaux solides: l’axe optique est perpendiculaire au plan des axes optiques des cristaux solides. Mais, si on agite la lamelle de verre supérieure, les particules s’orientent de façon que leur axe optique soit vertical, et on peut alors observer un très beau phénomène: la lumière tombant à la surface d’une telle préparation est partiellement absorbée et partiellement diffusée; la longueur d’onde de la lumière diffuseé augmentant avec l’abaissement de température, le liquide émet de la lumière passant par toutes les teintes du spectre depuis le violet, jusqu’au rouge.
Telles sont les particularités les plus importantes que nous fournit l’étude des liquides cristallisés, mais cependant il est une propriété de ces liquides, qui mérite d’etre signalée, car elle établit un nouveau rapprochement entre les liquides et les solides cristallisés. On sait que les molécules d’un même corps peuvent constituer plusieurs édifices cristallins, différents par leurs propriétés physiques et en particulier par leurs propriétés cristallographiques, ce que l’on exprime en disant que le corps est polymorphe. En général, à une température donnée et sous une pression déterminée, un seul de ces édifices est stable, mais en faisant varier la température et la pression, on peut déterminer la transformation: les particules cristallines se transforment en d’autres particules, qui se répartissent suivant un nouveau réseau. Or, cette propriété du polymorphisme se retrouve dans les liquides cristallisés avec des particularités identiques à celles que l’on observe dans les corps solides.
C’est ainsi que l’oléate d’ammoniaque uniaxe que nous avons décrit, se transforme à une température un peu inférieure à 40° en cristaux biaxes négatifs. Le caprinate de choléstérine en passant à l’état liquide devient uniaxe assez biréfringent, et la température s’élevant il se transforme en un autre uniaxe moins biréfringent. On a même observé des modifications instables, qui comme celles des cristaux solides, s’obtiennent par surfusion du liquide.
Les faits, qui viennent d’être exposés, peuvent servir de base à une série de conclusions du plus haut intérêt, que nous avons fait prévoir dans les considérations théoriques du début: à propos de l’oléate d’ammoniaque et du p-azoxyphenetol nous avons vu que la répartition réticulaire pouvait être détruite sans que les propriétés optiques fussent modifiées; pour le premier il suffit d’ajouter un peu d’eau pour donner toute liberté aux particules, pour le second on arrive au même résultat en le chauffant à la température de 137°,5. Les mêmes expériences nous montrent que ces particules jouissent d’une certaine individualité, puisque elles subsistent indépendamment du réseau. L’étude de l’éther p-azoxycynnamique est peut-être à ce point de vue encore plus concluante, puisque comme il a été dit, on peut agiter fortement le liquide sans apporter le moindre trouble dans les propriétés optiques. Il faut donc admettre que les particules sont constituées d’une seule molécule, conformément aux idées de Bravais, ou bien d’un groupe de molécules, assez intimement unies pour résister aux actions mécaniques. La première hypothèse a le grand inconvénient d’astreindre la molécule chimique à posséder une symétrie souvent fort complexe et surtout de faire du polymorphisme un phénomène chimique et non physique.
Des gouttes liquides unisotropes.
Les liquides anisotropes, que nous venons de décrire, outre les édifices homogènes, c’est à dire les cristaux, peuvent donner naissance à d’autres édifices d’une structure complexe entraînant des propriétés spéciales des plus curieuses, et dont les plus typiques méritent d’etre signalées.
Si l’on fond des cristaux de p-azoxyanisol avec un peu de colophone ou d’huile, on obtient le liquide anisotrope sous forme de gouttes, que les mesures les plus précises nous montrent sphériques. Elles se distinguent des gouttes de liquide ordinaire en ce qu’un examen microscopique en lumière ordinaire suffit pour révéler une structure interne: si l’indice de réfraction varie le long d’une droite menée à l’intérieur de la goutte, il en résulte des réflexions totales qui dessinent dans la partie centrale un espace de forme lenticulaire se raccordant avec la surface extérieure suivant un grand cercle et le diamètre perpendiculaire sur le plan de ce cercle est un axe de symétrie de la goutte.
Si l’on fait tomber un rayon de lumière polarisée sur une goutte dont l’axe est verticale, on constate qu’elle est polychroïque: on voit en effet à sa surface quatre quadrants alternativament jaunes et blancs; mais ces quadrants ne sont pas symétriquement orientés par rapport à la vibration incidente. De plus, le phénomène change suivant que l’on emploie le polariseur ou l’analyseur pour obtenir la vibration polarisée: pour que les quadrants jaunes et blancs occupent la même position, il faut que l’analyseur soit orienté à 90° du polariseur. Jamais semblable phénomène n’a été constaté dans les corps cristallisés.
En lumière polarisée, si la goutte est très petite, elle montre une croix noire dont le centre coïncide avec le pôle de l’axe de symétrie, dont les bras sont situés dans les plans de vibration de l’analyseur et du polariseur, et les quadrants présentent les teintes dues à la polarisation chromatique. Mais il en est tout autrement si la goutte est épaisse: la croix devient rouge ou verte et en faisant tourner l’analyseur on peut l’amener à être noire; ce qui démontre l’existence du pouvoir rotatoire suivant l’axe de la goutte. D’autre part, si l’on place une de ces gouttes dans un champ magnétique, elle tourne de façon que son axe soit parallèle aux lignes de force; on assiste donc à un phénomène analogue à celui qui a été bien des fois constaté pour les cristaux en suspension dans un liquide. Mais ce qui est plus intéressant c’est que si la goutte ne peut tourner sur elle même, les éléments constituants changent d’orientation, comme on le constate optiquement, de façon que le nouvel axe de symétrie soit parallèle aux lignes de forces. Dès que l’action cesse de se faire sentir, les éléments reprennent leur première orientation. Le phénomène serait donc identique à celui que l’on admet depuis longtemps dans le fer sous l’influence d’un champ magnétique.
Un autre phénomène aussi curieux consiste dans la rotation des gouttes sous l’influence des différences de température. Si l’on chauffe la face inférieure de la préparation de façon à établir une différence de température entre la face inférieure et la face supérieure, on voit les gouttes tourner sur elles mêmes, avee une vitesse d’autant plus grande que la différence de température est plus prononcée. Mais comme les parties superficielles tournent plus vite que les parties profondes, les phénomènes optiques sont fortement modifiés: la croix noire, vue en lumière polarisée, devient une double spirale.
Quelle que soit la cause de cette rotation, il est intéressant de remarquer que l’on se trouve en présence d’un champ Laplacien, puisque le déplacement s’effectue dans une direction perpendiculaire aux lignes de force, c’est à dire dans le cas présent, au flux calorifique.
Ces gouttes anisotropes jouissent, comme on le voit, d’un ensemble de propriété qui les distinguent nettement des corps cristallisés; elles présentent une structure spéciale, résultant de la combinaison des actions entre particules et des tensions superficielles: les particules ne sont pas parallèles, mais orientées de façon que la goutte possède une structure, que l’on peut appeler de révolution autour de son axe de symétrie. Quoique constitué des mêmes éléments que les cristaux liquides, ces gouttes ne peuvent être confondues avec eux, pas plus que l’on ne peut confondre les corps amorphes et les corps cristallisés parce que constitués des mêmes molécules.
Pour être complet, il nous resterait à passer en revue les travaux de M. Schenck et de ses éléves sur la détermination des constantes physiques des liquides anisotropes, mais outre que cet exposé donnerait à cet article, déjà trop long, un développement exagéré, il est certain que la connaissance des ces constantes, densité, viscosité, conductibilité électrique, etc. n’entraîne pas des conclusions dont l’importance soit comparable à celle des faits précédemment décrits. La lecture des pages précédentes suffira, je l’espère, pour convaincre de l’intérêt qui s’attache aux découvertes de M. Lehmann, de l’influence qu’elles sont appeler à prendre dans nos conceptions sur l’état cristallisé. Jusqu’à la publication de ses recherches, une interprétation trop étroite des résultats mathématiques avait conduit les cristallographes à considérer la répartition réticulaire comme un caractère essentiel de l’état cristallisé, alors que cette répartition ne régit que les propriétés variant d’une façon discontinue, les autres ne dépendant que de la particule cristalline. Grâce à M. Lehmann, nous savons aujourd’hui que cette particule, composée d’une ou plusieures molécules, jouit d’une veritable individualité, lui permettant de subsister indépendamment du réseau; c’est là certes un des progrès les plus notables de la cristallographie moderne, qui ne peut être comparé, comme importance, qu’à l’introduction de la notion de réseau.
- Paris.
Note
- ↑ Lehmann - Flüssige Kristalle. — Schenck - Kristallinische Flüssigkeiten.