Scientia - Vol. VII/Physique
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Je me souviens, du temps que j’étais écolier, des manuels de physique que nous avions entre les mains: des tableaux synoptiques d’une sécheresse rebutante, où tout disparaissait de la physique et de la science pour ne laisser que des réponses détachées à des questions d’examen; ou bien des livres énormes surchargés de descriptions minutieuses d’appareils multiples: tous les dispositifs inventés par X, par Y etc., pour vérifier une loi qu’une observation quotidienne toute simple eût suffi largement à légitimer, dans les limites de notre esprit scientifique enfantin; les corrections les plus compliquées et les plus subtiles à des lois dont l’expression générale était mal établie, mal expliquée, peu comcomprise; des cinquièmes décimales, là où la seconde n’était déjà pas sûre. Aussi étions-nous tous dégoûtés de l’enseignement des sciences physiques. Elles ne satisfaisaient pas, comme les sciences naturelles, notre curiosité et notre goût du concret. Elles irritaient ceux d’entre nous qui avaient quelques dispositions pour la précision abstraite des mathématiques. Elles n’intéressaient personne, et nous sortions du lycée n’ayant vraiment que la culture mathématique ou la culture littéraire. L’esprit scientifique que, seule, peut donner complètement l’étude des sciences physico-chimiques, car elles sont le type des sciences de la nature, le modèle d’une science du réel qui ait vraiment allure scientifique, nous était absolument étranger.
Des déductifs, hypnotisés par l’esprit géométrique, des intuitifs déformés d’une façon morbide par l’esprit de finesse, dit littéraire, voilà ce que donnait l’enseignement secondaire français. Au sortir des mathématiques spéciales ou des rhétoriques supérieures, l’esprit solide fait d’un juste équilibre entre ces deux tendances, était une exception. C’est ensuite qu’on s’y acheminait quand on avait fa force de réagir sur soi-même. Or, cet esprit solide, cet esprit scientifique, nécessaire autant dans la saine littérature qu’ailleurs, cet esprit qui sait constater, observer, et aussi imaginer, déduire et construire, semble bien pouvoir être formé par la méthode physique plus que par toute autre. C’est pourquoi sans doute l’enseignement des sciences physico-chimiques a pris dans nos nouveaux programmes en même temps qu’une place plus grande, une toute autre physionomie.
L’expérience — que nous ne voyions jamais autrefois — est devenue la règle et la base solide de cet enseignement. L’élève y doit contribuer de lui-même dans la mesure du possible. Et on recommande avec raison des expériences simples sans appareils coûteux ou compliqués, avec des dispositifs qu’on peut souvent fabriquer soi-même à l’aide d’objets usuels. On ne doit point viser à faire des enfants des savants, mais des gens instruits, avisés, au courant.
Enfin les grandes généralisations philosophiques qui donnent à la science son unité et son influence éducatrice ne seront plus écartées de parti pris. L’élève apprendra enfin qu’à côté des robinets de Regnault, il y a des principes fondamentaux qui dominent notre science de l’Univers matériel. Je me souviens de l’ahurissement scandalisé d’un pauvre vieux professeur quand il vit figurer sur les programmes de chimie les théorèmes de Le Châtelier, et des notions de chimie physique!
A un enseignement aussi bouleversé et aussi amélioré il fallait de nouveaux livres. Le professeur ne peut ni tout dire, ni tout rappeler chaque fois qu’il est nécessaire. Son enseignement ne sera vraiment vivant et éducatif que si au lieu de dicter un cours, il peut converser avec ses élèves et faire en quelque sorte le cours avec eux. Or cette méthode suppose, si on ne veut pas aboutir au vague, à la confusion, ou à des omissions et des lacunes graves, un instrument de documentation précise sur lequel s’appuyer. S’efforcer de réaliser cet instrument est une tâche pédagogique d’une portée considérable, d’une utilité et d’une valeur — si l’on y réussit — qu’on ne saurait exagérer. Bouasse a eu le premier grand mérite de comprendre que cette tâche n’était pas indigne du savant de grande envergure, et du véritable philosophe qu’il est. Il a eu le mérite plus grand encore de se rendre clairement compte des besoins nouveaux — qui au fond auraient dû être des besoins constants — de l’enseignement secondaire de la physique. Enfin, et c’est ce qui ne saurait étonner ceux qui sont au courant de ses travaux philosophiques et scientifiques, il a eu le mérite d’y réussir admirablement.
Ses six petits livres de physique adressés trois à l’enseignement plus proprement littéraire (divisions A et B), trois à l’enseignement plus proprement scientifique (divisions C et D) des jeunes gens du second cycle (14 à 17 ans), sont de petits chefs d’œuvre de clarté, de précision, et d’exposition méthodique et philosophique. Ils apportent dans l’enseignement secondaire de la physique — et je sais combien cela est fécond pour avoir eu le bonheur de posséder moi-même à la fin de mes études secondaires un maître qui faisait de même — une véritable philosophie de la méthode. Ils ne se contentent pas de graver la mémoire de résultats isolés. Ils en montrent la continuité et l’unité, l’esprit de suite pourrait-on dire. Ils donnent l’idée de ce qu’est une science, de ce qu’est la science physique beaucoup plus qu’un recueil de formules ou de résultats et une suite de descriptions d’appareils.
Ces livres visent tout d’abord à la compréhension des notions fondamentales, et suppriment tout ce qui serait inutile ou nuisible à ce but. Faire comprendre la science dans son esprit, beaucoup plus que la faire apprendre dans sa lettre, voilà l’idée inspiratrice. Pour cela il fallait délimiter nettement le sens et la portée de ces notions fondamentales, et avant tout le sens et la portée de ce qu’on appelle les principes. «Voilà longtemps que les professeurs de physique se plaignent de ne pas avoir les notions de la mécanique expérimentale dans leur domaine; ils avaient raison, parce que les méthodes d’enseignement de la mécanique théorique ou rationnelle et de la mécanique physique ou expérimentale sont entièrement différentes. Le mathématicien pose des principes qu’il ne discute pas, il en déduit des conséquences. La méthode est déductive comme celle de la géométrie; seule, la nature des prémisses diffère.
Au contraire, le physicien explique comment l’expérience a pu non pas démontrer ces principes (on ne démontre pas les principes), mais conduire à leur découverte, plus exactement à leur divination. C’est une excellente application de la méthode d’induction, une précieuse occasion d’en montrer le rôle aux élèves et de leur donner un aperçu des procédés de découverte.
Le professeur de physique doit se méfier de deux erreurs:
La mécanique pourrait être autre qu’elle n’est sans contradiction logique: on peut rêver un monde où elle reposerait sur d’autres bases.
L’expérience vérifie quelques unes de leurs conséquences avec une approximation limitée et connue. A cette approximation les principes s’appliquent aux faits; on ne sait pas de certitude absolue s’ils s’appliqueraient encore dans d’autres cas et pour un autre degré d’approximation. Il y a toujours, dans l’application de la méthode d’induction, une part d’inconnu.
Sous prétexte de ne pas ébranler la confiance des débutants, il est peu judicieux de leur cacher la nature de notre certitude. Aussi bien le professeur de philosophie serait là pour rappeler son collègue à la vérité: l’élève perdrait confiance en l’un et l’autre de ses maîtres.
Nous nous sommes efforcés dans notre rédaction d’éviter ces erreurs. Nous n’avons eu qu’à raconter comment les découvertes se sont faites. Autant il est vain d’employer généralement la méthode historique, autant ici l’on gagne à rapprocher l’exposition dogmatique du développement chronologique des idées».
La seconde préoccupation maîtresse de Bouasse c’est de partir du concret pour remonter à l’abstrait, et de ne rien négliger pour éveiller directement la curiosité de l’élève, et toucher son intelligence, atteindre ses facultés vives. Par exemple il concevra ainsi le développement respectif des parties de l’optique: «Si nous voulons intéresser nos élèves, il faut insister sur les phénomènes qu’ils peuvent vérifier tous les jours: proposition banale dont on ne tire pas les conséquences. Il en résulte, en effet, que deux chapitres d’optique doivent occuper une place prédominante; ceux où l’on étudie, d’une part l’œil et les conditions de la vision, et de l’autre la photométrie et l’éclairement des objets. Il va de soi qu’on ne peut comprendre le mécanisme physique de l’œil (nous n’avons pas à faire de physiologie) que si l’on connait la théorie des lentilles; mais on doit pour des commençants faire porter l’effort sur l’application de cette théorie à la vision, et non pas sur la théorie elle-même. En France, vingt personnes utilisent des télescopes, quelques milliers des microscopes, quelques dizaines de mille des objectifs photographiques, et trente six millions n’emploient comme appareil dioptrique que leurs yeux. Il semblerait, à lire les traités élémentaires, que la progression est renversée».
De même il sera de l’avis des nouveaux programmes qui donnent «sa juste place à l’acoustique et propose l’étude des vibrations en optique et en électricité, comme un développement des notions solidement acquises en acoustique» et il commençera par appliquer les principes de la mécanique aux ondes sonores comme capables de nous faire comprendre visuellement et matériellement ce que sont la propagation d’un mouvement vibratoire et une onde stationnaire». Il est plus facile de se représenter un phénomène quand il est matériel que quand il ne l’est pas, quand il existe réellement que quand c’est une manière de parler».
Bouasse évitera pour la même raison les analogies trompeuses, les confusions: «Pourquoi comparer le mouvement vibratoire longitudinal dans un tuyau à des rides à la surface de l’eau, quand on a des exemples aussi parfaits que la propagation d’un ébranlement longitudinal d’un bout à l’autre d’un train ou le long d’une corde de caoutchouc? Croit-on que ce soit œuvre philosophique de mélanger les vibrations transversales et longitudinales, et d’expliquer la propagation d’une vibration longitudinale par la propagation d’une vibration transversale qui est infiniment plus complexe?».
Il évitera partout les développements purement mathématiques: «Cependant on doit habituer l’élève à concevoir que les phénomènes peuvent être renfermés dans une formule. Après lui avoir expliqué, par exemple, les courbes successives que réalise une corde vibrante, on ne doit pas négliger de lui faire discuter en détail l’expression mathématique qui résume ces formes. On lui rendra le service immense de lui montrer l’intérêt pratique des études mathématiques». Cette excellente remarque pédagogique est d’autant plus méritoire que Bouasse a sur la méthode physique des idées philosophiques fort arrêtées. Ces idées se trouvent surtout appliquées dans un septième volume qui est le plus intéressant et le plus original de la collection, comme il en est le plus poussé: «Mécanique et physique». La physique consisterait essentiellement à chercher des formes mathématiques dans et par lesquelles s’exprimeraient les résultats de l’expérience d’une façon systématique et partant extrêmement commode. Ces formes se fonderaient sur un certaine nombre de principes, définitions indépendantes de l’expérience et qui ne visent qu’à la représenter et à la retrouver le plus exactement et le plus aisément. Le volume dont nous parlons expose ainsi d’une façon générale la physique élémentaire à partir des principes de la mécanique et de l’énergie. C’est à la fois un aide-mémoire et un exposé déductif et philosophique. Ces idées que nous ne pouvons discuter ici paraîtront à d’aucuns donner à la systématisation et à l’exposé ordinaire de la physique quelque chose d’artificiel. On voit pourtant que ce serait se méprendre sur la pensée profonde de Bouasse. L’artifice n’est que dans l’apparence, clans le langage spécial, dans la «forme». Le fond est essentiellement expérimental et concret. Et l’effort des six autre volumes visent justement à séparer le fond de la forme, et à montrer que l’essentiel de la physique est dans le réel qu’elle contient, dans l’expérience, la forme mathématique et les éléments qu’elle implique ayant surtout un intérêt pratique, considérable d’ailleurs.
Il multiplie les exercices numériques pour éclairer toutes les lois: «Ils fixent les idées mieux qu’une dissertation et évitent les erreurs monstrueuses dans lexquelles tombent tant d’élèves sur l’ordre de grandeur des phénomènes. Nous n’avons pas hésité devant des calculs même longs pour apprendre au débutant ce qu’est l’approximation en physique: un résultat est sûr non pas quand on le connaît sans erreur, mais quand on précise l’erreur qu’il est possible de commettre.
Enfin les lois sont toujours représentées par des graphiques qui reposent l’esprit, montrent d’un seul coup l’allure du phénomène et développent l’idée de fonction, si difficile à acquérir».
Les belles figures d’appareils incompréhensibles sont remplacés partout par des schémas clairs, faits au simple trait et que l’élève doit s’habituer à reproduire, doit avoir dans l’œil. Et le plus possible, Bouasse cherche à remplacer les appareils de laboratoire par les exemples vulgaires qu’on peut voir autour de soi.
En résumé ces livres qui enferment toute une philosophie de la pédagogie physique et toute une philosophie de la science physique adaptée à l’esprit de ceux à qui ils s’adressent méritaient d’être signalés dans une Revue de synthèse scientifique à l’attention du monde enseignant en général. Mieux que cela, ils méritent d’être signalés à tous ceux qui se soucient de-faire des enfants «des êtres intelligents et sachant raisonner».
- Dijon, Université.