Masaccio: Ricordo delle onoranze/Enrico Cochin

Henry Cochin

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Giorgio Berger Guglielmo Bode
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Di ENRICO COCHIN

deputato del nord alla camera francese




J’aime trop l’Art Italien, et j’aime trop le Valdarno, pour ne pas m’associer cordialement aux honneurs qui vont être rendus à Masaccio, aux fêtes qui vont réjouir la délicieuse ville de San Giovanni.

On rencontre, dans l’histoire des arts, comme dans celle des états, des hommes privilégiés, qui forcent l’attention, moins encore par leurs singuliers talents, que par l’action qu’ils ont exercée sur les autres hommes. Ils viennent en un moment critique, en un point d’arrêt, où l’esprit humain semble hésiter, s’attarder et chercher sa route.

Ils donnent un nouveau départ, et la direction qu’ils ont indiquée est celle où va s’engager, pour longtemps, la suite des générations.

Tel Masaccio dans l’histoire de la peinture Italienne.

Ce prodigieux enfant, né en l’illustre Vallée de l’Arno, à l’aurore du Quinzième Siècle, apparu un moment, et presqu’aussitôt disparu, a donné pour deux [p. 34 modifica] siècles la direction à l’Art. De lui a Michel Ange, il ne se joue qu’un seul et même drame, s’il y a mille actes divers. C’est en quoi le quatrain fameux d’Annibal Caro reste admirablement vrai, et quand il dit:

L’atteggiai, l’avvivai, le diedi il moto,

je prends ces derniers mots dans un sens large et symbolique,tout autre que celui que le poëte a voulu. Je l'entends ainsi: Le diedi il moto, — je donnai à l'Art le mouvement, c’est-à-dire l'impulsion, la force d’aller, de marcher en avant.

Son action fut si vive et si efficace, sa vie si courte, qu'il frappa comme de surprise l’esprit de ses contemporains et des premiers chroniqueurs de l’Art Toscan. Il leur sembla qu’ils avaient vu passer et puis s’enfuir dans la nuit, un météore éblouissant. Il fixa l'attention de telle façon, qu’on le proclama le premier et qu’on le crut le seul, avec cette admiration exclusive jusqu’à l’excès qu’ impose souvent le génie. C’est qu’au moment où il parait, les signes de la renaissance ne sont pas encore très clairs, et une décadence est au contraire évidente: car un long siècle d’action avait épuisé la force vitale et la sève de la grande école de Giotto. les derniers Giottesques, comme Agnolo Gaddi, se répandaient surabondamment en redites multipliées; malgré le charme puissant d’un Spinello Aretino et de certains bons peintres, on sentait bien que quelque chose de grand avait pris fin. L’Art Toscan attendait une force nouvelle pour reprendre sa marche et s’avancer vers de nouvelles destinées. [p. 35 modifica]

Il sembla à tout le monde alors que Masaccio, et Masaccio seul, avait donne l'élan attendu. Car ce ne fut assurément aucun de ses prédécesseurs immédiats, de ses contemporains ou de ses premiers successeurs. Ce ne fut ni Masolino da Panicale, ni Taddeo di Bartolo, ni Giovanni Angelico de Fiesole, ni ce singulier et vigoureux esprit Andrea del Castagno, ni ces maîtres exquis Benozzo Gozzoli et Piero della Francesca.

Ce fut lui et lui seul, et dans l’esprit des plus grands et des plus avisés, en son siècle comme au siècle suivant, il occupa et il garda une place unique. Il fut celui qui au jour voulu a dit la parole attendue, et un instant il sembla qu’en cette tête enfantine se résumât tout le genie de la Toscane.

Qu’il soit donc fêté, et noblement, et dignement fêté!

Que soit fêté aussi le Val d’Arno supérieur, vallée sacrée avant toute autre, parmi toutes les vallées sacrées de la Toscane, noble et gracieuse à la fois, fertile en vin et en froment et en troupeaux, ainsi que jadis la louait Tite Live, fertile en hommes rares, bons, subtils, mystiques, en peintres, poëtes, historiens, penseurs, bienfaiteurs à jamais célébrés des hommes de toutes les nations. L’air qu’ on respire là n’est pas l’air dont se nourrissent les hommes ordinaires; c’ est un air délicat, «aria fina», et c’est dans cet air fin que Michel Ange disait avoir aspiré le soufflé du génie. Le sol que l’on y foule doit étre foulé avec respect, en songeant à ceux qui jadis y posèrent le pied: c’est le Casentino, que Dante a chanté, Arezzo où il a passé [p. 36 modifica] et où est né Pétrarque, l’Incisa où Petrarque a balbutié ses premiers mots de la Langue de si. Les spectacles qu’on y voit, la forme des montagnes, la verdure des vallées, les brumes chaudes de l’été, sont les spectacles qui ont caressé les yeux de ces grands ancêtres de nos âmes; et quand, le soir, au dessus du Pratomagno, dans l’azur limpide des nuits Toscanes, surgissent, un à un, les astres de l’Empyrée, il semble qu’on entend chanter les sphères, et que se lèvent au dessus de nous, les «glorieuses étoiles» du Paradis.

Que soit aussi fêté San Giovanni, ville antique, fille de Florence, parfaite et symbolique dans sa forme carrée, munie des remparts qui veulent dire Force, surmontée du Campanile communal qui veut dire Liberté, protégée par les Madonnes de ses quatre portes, qui signifient Foi et Charité.

J’aime San Giovanni et ne l’oublierai jamais. Je me suis recommandé à la Madonne de Porta San Lorenzo, celle qui, au temps de la Peste, gonfla d’un lait miraculeux la poitrine desséchée de Monna Tancia. J’ai pensé, errant par les rues silencieuses à celui qui, cinq cents ans plus tôt, par ces mêmes rues, doux, mélancolique, absorbé par son réve surhumain, — tel Vasari nous l’a peint, — passait lui aussi, lentement, la tête pleine de pensée et de foi — à votre glorieux ancêtre, o citoyens de San Giovanni, — qu’un étranger ami est heureux aujourd’hui de saluer avec vous.

Paris, Juillet 1903.