Scientia - Vol. VII/Les rites de passage

George Chatterton-Hill

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La materia radiante e i raggi magnetici The dancing mouse
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Arnold Van Gennep - Les rites de passage - 1 volume, pp. II-288. Paris; Émile Nourry, 1909.


La vie de l’homme, comme de tout autre animal, considérée au point de vue biologique, présente l’aspect d’une unité bien ordonnée et bien agencée, d’un phénomène continu et dont la continuité n’est pas susceptible de solution, qui se déroule entre les deux limites de la naissance et de la mort. Entre ces deux [p. 185 modifica] termes, pas de discontinuité, pas d’interruptions; les diverses phases — e. g. de l’adolescence, de la vieillesse — se succèdent de par le seul jeu des lois naturelles, sans qu’on puisse les intervertir, les retarder, ou les éviter. Mais lorsqu’on vient à considérer l’homme comme être social — lorsqu’on fait abstraction du point de vue biologique — sa vie perd de suite cet aspect d’unité et de paisible continuité. De ce nouveau point de vue nous voyons la vie de l’homme divisée en une série, qui sera plus ou moins grande suivant les diverses sociétés humaines, de compartiments. Le passage de l’un à l’autre de ces compartiments est difficile et demande un certain temps; ii s’accompagne de cérémonies diverses, qui sont souvent fort compliquées. Bref, tandis que la vie biologique de l’homme présente l’aspect d’une unité sans solution de continuité, sa vie sociale, au contraire, présente celui d’une multiplicité de sphères concentriques contenues l’une dans l’autre, mais séparées l’une de l’autre par de hautes palissades qui ne sont parfois que difficilement franchissables. L’enfance, l’adolescence, la vieillesse; dans un autre ordre de faits, la famille, le groupe totémique, la caste; ou bien la classe d’âge, la société sexuelle en générale, la société religieuse en générale (monde sacré), constituent chacun un compartiment, soit de la vie individuelle, soit de la structure sociale, qui est séparé du compartiment voisin par une cloison solide et étanche. Chaque compartiment, considéré en lui-même, constitue un tout autonome, aux frontières nettement délimitées.

Nous voyons donc l’individu social catégorisé dans des compartiments divers, pour employer l’expression de M. Van Gennep, et «pour passer de l’un à l’autre, afin de pouvoir se grouper avec des individus catégorisés dans d’autres compartiments, il est obligé de se soumettre, du jour de sa naissance à celui de sa mort, à des cérémonies souvent diverses dans leurs formes, semblables dans leur mécanisme». (p. 271). L’ouvrage de M. Van Gennep a pour but d’étudier les «cycles cérémoniels par lesquels passe l’homme dans toutes les circonstances graves de sa vie». Les rites de passage sont les rites auxquels l’homme doit se soumettre afin de pouvoir passer d’un compartiment de la vie à un autre, par exemple de l’état d’enfance à l’état de puberté, du célibat au mariage, de la vie profane à la vie sacrée, etc.

Ces rites de passage, nous pourrions les classifler en cinq catégories (cette classification n’est pas de M. Van Gennep), à savoir:

I. Rites de Passage ontogénétique: Passage à la vie (naissance).
» » la puberté.
» » l’âge mûr.
» » la vieillesse.
» » la mort (funérailles).
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II. Rites de Passage Social:
                      Classe A.
Passage au sein de la Société Sacrée: (imitation, ordination sacre).
Passage au sein de la société sexuelle.
III. Rites de Passage Social:
                      Classe B.
Passage au sein de la famille: (fiançailles, mariage et divorce, grossesse, accouchement, adoption).
Passage au sein du Totem
» » » de la Phratrie.
» » » de la Commune.
» » » de la Province.
» » » de la Caste.
» » » de la Classe professionnelle.
IV. Rites de Passage Cosmique: Passage à la nuit ou au jour.
» au nouveau mois lunaire.
» à la nouvelle saison.
» à la nouvelle année.
V. Rites de Passage Matériel: Passage par le seuil de la maison.
» » » » de la ville (rites de l’hospitalité).

Nous ne prétendons pas avoir classifié ici les divers rites de passage selon l’importance qu’on y attache dans les différentes sociétés. La classification n’en est pas non plus finale, ni absolue. C’est ainsi que nous avons classé les rites qui accompagnent le passage à l’état de puberté parmi les rites de passage ontogénétique, car l’arrivée de la puberté constitue certes une étape, et des plus importantes, de la vie individuelle (ontogénie). Mais on pourrait également ranger les rites en question parmi ceux qui marquent l’entrée de l’individu au sein de la société sexuelle masculine ou féminine, c’est-à-dire parmi les rites de passage social (Classe A). Nous n’avons voulu que dresser une liste succinte des principaux ordes de rites de passage, qui permettra au lecteur non encore initié de se faire rapidement une idée de leur étonnante variété.

Pour effectuer chacun des «passages» indiqués, il faut donc que l’enfant, l’homme, ou la femme se soumettent à des rites nettement déterminés. C’est à l’étude de ces rites que M. Van Gennep s’est attaché. Mais le mécanisme des rites de passage est compliqué, car le passage d’un compartiment de la vie ou de la société à un autre est chose difficile. Pareil passage ne se fait pas immédiatement et d’un trait; il doit se faire par étapes. D’abord, pour que l’individu entre dans un nouveau [p. 187 modifica] compartiment de la vie individuelle ou de la structure sociale, il faut qu’il quitte le compartiment dans lequel il s’est trouvé précedemment, il faut qu’il s’en sépare. A cette première étape du passage correspond une première série de rites, ayant pour but d’effectuer la séparation complète et entière de l’individu d’avec son ancien milieu. C’est ce que M. Van Gennep appelle les «rites de séparation», ou «rites préliminaires». A la suite de l’accomplissement de cette première série de rites l’individu est séparé de son ancien milieu; mais il n’est pas encore entré dans son nouveau compartiment, car la séparation d’avec un milieu donné n’entraine nullement ex ipso l’entrée dans un milieu nouveau; entre la sortie de l’ancien et l’entrée du nouveau milieu il faut que l’individu passe par un état intermédiaire de purification — ceci du moins est l’idée originelle qui est à la base de la conception de la «marge». L’individu, à la suite de la sortie de son ancien compartiment est donc en dehors de tous les compartiments dont l’ensemble constitue la vie individuelle ou la structure sociale. Il n’en appartient plus à aucun, il est isolé, il est en marge de la société. C’est la deuxième étape de son passage au compartiment nouveau qu’ il doit désormais habiter, l’étape de la marge. A cette seconde étape correspond une nouvelle série de rites, dits «rites de marge», ou «rites liminaires». L’individu ne peut toutefois rester indéfiniment en marge de la société; en fait, la période de marge est parfois si courte qu’on ne s’en aperçoit à peine. Il faut donc que l’individu entre dans son nouveau compartiment; il faut qu’il soit agrégé à son nouveau milieu. Nous voici arrivés à l’étape finale du passage; l’ancien milieu est définitivement abandonné, les dernières traces en ont été effacées pendant la période de marge, et l’individu peut être reçu solennellement dans la nouvelle catégorie d’individus dont il fait dès maintenant partie. Cette agrégation de l’individu à sa nouvelle catégorie s’accompagne naturellement d’une troisième série de rites, que M. Van Gennep désigne sous le nom de «rites d’agrégation», ou «rites postliminaires».

Ainsi les rites de passage se subdivisent, d’après les différentes étapes de chaque passage, en rites de séparation, de marge et d’agrégation. Mais ces différentes catégories de rites «ne sont pas également développées chez une même population, ni dans un même ensemble cérémonie! Les rites de séparation le sont davantage dans les cérémonies des funérailles, les rites d’agrégation dans celles du mariage; quant aux rites de marge, ils peuvent constituer une section importante, par exemple dans la grossesse, les fiançailles, l’initiation, ou se réduire à un minimum dans l’adoption, le second accouchement, le remariage, le passage de la 2e à la 3e classe d’âge, etc.». (p. 14). D’ailleurs le schéma [p. 188 modifica] des rites que nous avons brièvement exposé dans ses grandes lignes n’est pas toujours exactement suivi. Par exemple, dans l’initiation des catéchumènes adultes chrétiens, il y a trois périodes bien distinctes, les périodes respectivement de séparation, de marge et d’agrégation; mais la période de séparation comporte des rites qui sont des rites d’agrégation préliminaire, par exemple l’administration de sel exorcisé. Dans l’initiation du brahmane il n’y a pas à proprement dire de séparation d’avec un milieu profane antérieur, attendu que le brahmane est prêtre-né. A la place d’une séparation il y a, dans l’initiation brahmanique, une première agrégation aux fonctions sacerdotales (la tonsure, le bain, le changement de vêtements, la poignée de mains, etc.), agrégation qui a lieu pendant l’enfance. A la fin de cette agrégation préliminaire l’enfant brahmanique «meurt», il entre la période de marge, dans le noviciat, caractérisé par les tabous de toutes sortes, et au cours duquel le novice est instruit dans la littérature sacrée, les formules rituelles, etc. La fin de la période de marge est marquée par la «renaissance» de l’enfant: ce dernier est désormais compétent pour exercer les fonctions du sacerdoce. La «renaissance» constitue l’agrégation finale à la caste sacrée des brahmanes.

Dans ces deux cas la séparation proprement dite est ou bien absente ou bien il s’y mêle des rites d’agrégation. Dans d’autres cas (e. g. dans les cérémonies de mariage chez les Héréros, cité par l’auteur; p. 201), c’est la période de marge qui est à peu près non-existante. Les rites d’agrégation, par contre, se différencient toujours très distinctement.

Ce qui nous a paru ie plus intéressant dans un livre fourmillant de détails intéressants, ce sont les observations que l’auteur fait au sujet du mariage. (Il faut lire tout ce chapitre, pp. 165-207, avec soin). M. Van Gennep a surtout très bien mis en lumière quatre faits importants: 1° l’importance du facteur économique dans la mariage primitif; 2° que des collectivités plus ou moins vastes (i. e. les deux sociétés sexuelles respectives — les groupements des ascendants des deux côtés — toutes les sociétés spéciales, clan totémique, classe d’âge, communauté des fidèles, corporation professionnelle, caste, etc.) sont intéressés au mariage pour de fortes raisons économiques; 3° que des rites où divers auteurs ont vu une survivance d’un ancien mariage par enlèvement (rapte), ou bien une expression, devenue traditionnelle, de la pudeur, ne sont que des rites de passage et notamment des rites de séparation d’avec les groupes qui, du côté de la jeune fille, sont intéressés au mariage; 4° la raison pour laquelle les mariages se font, chez les primitifs et les demicivilisés, au printemps, en hiver et en automne, c’est-à-dire en [p. 189 modifica] morte-saison, et non pas au moment des travaux des champs. (Cfr. p. 199).

Il est à peine besoin de dire la valeur de l’œuvre de M. Van Gennep. Le nom de son eminent auteur en est une suffisante garantie. Nous sommes sûrs à l’avance de trouver dans les travaux de M. Van Gennep l’érudition jointe au style agréable et lucide. Qu’il nous soit seulement permis d’attirer l’attention sur le livre qui est devant nous et qui devrait se trouver dans la bibliothèque de tous ceux qui, de près ou de loin, s’intéressent à la science de l’anthropologie sociale.

Paris.

Note