Rivista di Scienza - Vol. I/La théorie phisique
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Dans un premier chapitre, M. Duhem oppose les théories explicatives aux théories représentatives. Les premières sont subordonnées aux systèmes métaphysiques dont elles font partie, et caduques comme ces systèmes eux-mêmes. Les secondes sont des théories abstraites «qui ont pour but de résumer et de classer logiquement un ensemble de lois expérimentales, sans prétendre expliquer ces lois (p. 5). C’est parmi les théories de ce type que l’on doit ranger les théories physiques. Toute théorie physique passe, d’après M. Duhem, par les stades suivants: En premier lieu, le savant choisit un certain nombre de propriétés physiques simples qui lui serviront de définitions et d’axiomes. Puis il combine ensemble ces définitions et ces axiomes suivant les règles de l’Analyse mathématique. Enfin il traduit les résultats obtenus en un certain nombre de jugements susceptibles d’être confrontés avec l’expérience (p. 27).
La théorie ainsi conçue est «une économie de la pensée». C’est en même temps une classification naturelle. — Qu’en savez-vous? demandera-t-on à M. Duhem. — M. Duhem n’en sait rien: mais il en est fermement convaincu. «Le savant, dit-il, a beau se pénétrer de cette idée que ses théories n’ont aucun pouvoir pour saisir la réalité...., il ne peut se forcer a croire qu’un système capable d’ordonner si simplement et si aisément un nombre immense de lois, de prime abord si disparates, soit un système purement artificiel; par une intuition où Pascal eût reconnu une de ces raison du cœur «que la raison ne commit pas» il affirme sa foi en un ordre réel dont ses théories sont une image, de jour en jour plus claire et plus fidèle» (p. 38).
Ainsi esquissée à larges traits, la doctrine de M. Duhem ne diffère pas beaucoup de celles qui sont communément admises par les philosophes contemporains. Ce qui en fait l’originalité, c’est l’importance prépondérante que M. Duhem attribue au calcul mathématique dans le développement de la Physique.
En effet, d’après M. Duhem, les découvertes physiques ne sauraient être regardées comme des résultats de l’expérimentation. La théorie doit être édifiée par des moyens purement logiques, et ce n’est qu’après coup que l’on est autorisé à la confronter avec l’expérience. Le seul contrôle expérimental de la théorie physique qui ne soit pas illogique consiste à comparer, le système entier de la théorie physique à tout l’ensemble des lois expérimentales et à apprécier si celui-ci est représenté par celui-là d’une manière satisfaisante» (p. 328). C’est qu’en effet la théorie est un bloc formé de parties indissolublement liées les unes aux autres: quand on cherche à vérifier une première loi par une expérience de laboratoire, on est obligé (ne serait-ce que parce qu’on se sert d’instruments) de s’appuyer sur un grand nombre d’autres lois non encore vérifiées; «donc le physicien ne peut jamais soumettre au contrôle de l’expérience une hypothèse isolée, mais seulement un ensemble d’hypothèses». (p. 307). Ainsi l’expérimentation ne sert qu’à apprécier la valeur d’une théorie déjà édifiée: le travail constructeur incombe tout entier au théoricien, au mathématicien.
En conséquence de ces principes, M. Duhem repousse toute intrusion des tendances expérimentales dans la Physique théorique. Il est, dit-il, certains physiciens qui ne voudraient raisonner que «sur des opérations réalisables», qui prétendent que toutes les transformations algébriques utilisées par le théoricien doivent avoir un sens physique (p. 340). Ces prétentions sont parfaitement injustifiées. «Les exigences de la logique algébrique sont les seules auxquelles le théoricien soit tenu de satisfaire» (p. 27). Et, ainsi, M. Duhem est conduit à faire le procès de ces savants anglais pour qui la Physique est une collection de modèles mécaniques sangrenus, qu’aucune théorie ne relie entre eux. «Voici, dit-il à propos d’un ouvrage de O. Lodge, voici un livre destine à exposer les théories modernes de l’électricité: il n’y est question que de cordes qui s’enroulent sur des poulies...., de tubes qui pompent de l’eau, d’autres qui s’enflent et se contractent....; nous pensions entrer dans la demeure paisible et soigneusement ordonnée de la raison déductive; nous nous trouvons dans une usine». S’inspirant de Pascal, M. Duhem établit un parallèle entre deux sortes d’esprits, les esprits amples mais faibles, les esprits profonds mais étroits. Il range les disciples de Maxwell, chez qui l’imagination prime la faculté logique de raisonner parmi les esprits amples. Mais il donne lui-même la préférence aux esprits profonds, tels que Newton et la plupart des physiciens continentaux. Pour ces derniers «une théorie physique est essentiellement un système logique».
Si la théorie, en tant que système logique, doit être parfaite et absolument rigoureuse, elle n’a cependant jamais, au point de vue physique qu’une valeur relative. Offre-t-elle même toujours un sens ? Il faut remarquer qu’une infinité de faits théoriques différents peuvent être pris pour traductions d’un même fait pratique. «Dire que la température est 10°, on 9°,99, on 10°,01, c’est formuler trois faits théoriques incompatibles; mais ces trois faits correspondent à un seul et même fait pratique si la précision de notre thermomètre n’atteint pas au 50° de degré» (p. 217). Considérons dès lors le faisceau de faits théoriques qui équivaut à un fait pratique donné: à ce faisceau, une loi théorique fait correspondre un nouveau faisceau dé faits théoriques: au cas où le second faisceau converge lui-même vers un fait pratique unique, la loi théorique donne bien une loi pratique; mais en cas contraire elle ne donne rien du tout. «Une déduction mathématique n’est pas utile au physicien tant qu’elle se borne à affirmer que telle proposition, rigoureusement vraie, a pour conséquence l’exactitude rigoureuse de telle autre proposition. Il faut encore prouver que la seconde proposition reste à peu près exacte lorsque la première est seulement à peu près vraie». (p. 231).
Ainsi, telle théorie, aujourd’hui vraie, deviendra inutile le jour où la puissance de nos instruments aura grandi. Comme il n’y a pas de lois prouvées expérimentalement il n’y a pas de lois définitives. La science progresse en subissant de continuelles retouches, ainsi que le montre l’histoire et, par exemple l’histoire de la théorie de l’actraction.
Telle est, brièvement résumée, la thèse de M. Duhem. On voit qu’elle forme un système où tout se tient fort bien, où tout se tient même trop bien, serions-nous tentés de dire: car si nos théories ne sont que des esquisses, des monstres appelés a disparaitre, pourquoi leur imposer un moule uniforme? pourquoi traiter avec tant de mépris, par purisme logique, les secours qu’offrent à l’entendement l’imagination et l’expérience?
- Université de Montpellier.