Dialoghi sopra l'ottica neutoniana/Dedica
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Sire
Ce n’est ni au Conquérant ni au Législateur, c’est à l’Ecrivain et au Philosophe que je dédie cet ouvrage. Vous avez daigné, Sire, m’interroger quelquefois sur mon travail; je vais vous en rendre compte dans le repos de ce palais, où vous avez égalé la magnificence de Luculle, après l’avoir surpassé par vos trìomphes.
Il y a longtems, que j’avois entrepris dans mes Dialogues d’aller par des chemins de fleurs, où les géomètres ne vont que par des sentiers d’épines, et d’expliquer Neuton méme à ce sexe, qui aime mieux sentir que connoître. Je viens de retravailler ces mêmes Dialogues, et de corriger dans un age plus mûr ce qui avoit été le fruit de la première jeunesse.
Tous les ouvrages, de quelque genre qu’ils soient, demandent l’homme tout entier. Mais j’ose dire, qu’un des plus diffìciles c’est le dialogue scientifique: sur tout lorsque les figures de géométrie, et les termes d’art doivent en être bannis; qu’il faut remplacer les uns par des équivalents pris dans les objets les plus connus, et les autres par le secours des descriptions. Mais ce seroit, Sire, abuser de votre tems, et peu connoître votre génie, que de vouloir vous prouver, combien il est drificile d’instruire l’esprit en parlant toujours à l’imagination, de suivre la méthode la plus rigoureuse et la cacher en même tems, et de donner à un traité de physique l’agrément, pour aìnsi dire, d’une pièce de théatre.
Le style n’a pas moins de difficultés. La proprieté des mots, la sagesse dans les métaphores, la justesse et la sobriété dans les comparaisons sont l’effet des talents, et de cet art plus rare encore que les talents, de cet art le plus difficile de tous, l’art d’effacer.1 Il faut sur tout que le naturel domine dans le dialogue: mais le grand point c’est de l’attraper ce beau naturel, cette première partie du style, qui est toujours la dernière qu’on saisisse. Un peintre maniéré a bientôt fait son tableau: mais combien d’esquisses, combien d’études ne faut-il pas aux maîtres de l’art pour parvenir à cette belle nature, que les Grecs et Raphaël nous ont montrée?
Il résulte encore de la langue italienne une nouvelle difficulté pour ce genre d’ouvrages, qui doivent rendre l’aìr et le tour de la conversation familière. Notre langue n’est, pour ainsi dire, ni vivante ni mort. Nous avons des auteurs d’un siècle fort reculé que nous regardons comme classiques; mais ces auteurs sont parsemés de tours affectés et de mots hors d’usage. Nous avons un païs où la langue est plus pure que dans aucune autre contrée de l’Italie; mais ce païs ne sauroit donner le ton aux autres, qui prétendent l’égalité, et même la superiorité à bien des égards. Sans capitale et sans cour il nous faut écrire une langue presqu’idéale, craignant touiours de choquer ou les gens du monde, ou les savans des académies; et dans cette carrière on n’a pour guide que le goût, dont il est si difficile de fixer les loix. Si l’Italie avoit eû ces derniers tems des Princes, tels que le Nord en voit aujourd’huy, notre langue ne seroit plus incertaine, et comme autrefois elle seroit universelle.
Je suis bien éloigné, Sire, de croire que j’aye vaincu tant de difficultés. J’ai tâché d’en surmonter la plus grande partie en recherchant les avis de juges aussi délicats que l’étoit Cornélie, et aussi sevères que lìétoit Quintilius en fait d’ouvrages d’esprit, et devenant moi méme sur mon propre ouvrage le plus rigide Aristarque. Sans m’arréter aux décisions de ceux qui jugent d’un auteur, qu’ils ne sauroient lire dans sa langue, j’ai examiné les remarques qui avoient été publiées sur mon livre: j’ai tâché de profiter de tout, et de convertir en suc médicinal le poison même de la critique2. Et c’est a quoi depuis longtems je me suis presqu’uniquement appliqué. Vous, Sire, qui dans le cours d’une journée remplissez tous le devoirs de la royauté, et trouvez encore le tems de nous donner quelque chef d’oeuvre dans les beaux aris, vous devez bien plaindre la lenteur de notre esprit; vous, dont les instants valent des années.3 Tout le monde, disoit Hirtius, admire la beauté des écrìts de César; nous les admirons bien davantage; nous, qui, les lui ayant vû composer, savons le peu de tems qu’ils lui ont coûté.4
Mais, Sire, si j’ose encore vous parler de moi, je ne me suis pas borné a la seule correction de mon livre. J’y ai ajouté un nouveau Dialogue; où j’ai’ introduis un antineutonien, et tâche de résoudre les difficultés, qui ont été faites contre le sistème de Neuton. Ce grand philosophe et Galilée son prédécesseur ont eû à peu près le même sort. Tous deux ont substitué l’expérience et la géométrie aux rêveries de l’éco/e. L’un a triomphé par là d’Aristote, qui était si redoutable par l’ancienneté de son empire; l’autre de Descartes, qui ne l’étoit par moins par le nombre, et par la force de ses pariisans. Tous deux ont changé totalement la face de la physique; mais tous deux ont eû à essuyer quantité d’objections, qui, pour avoir été faites par des philosophes, n’en sont pas moins puériles. Il y a longtems qu’on a oublié celles, dont on a voulu accabler Galilée. On entend tous les jours répéter cellcs qu’on a faites contre Neuton. C’est a ces dernières que je réponds. Je réfute en même tems des hypothèses, qu’on a prétendu dernièrement substituer à son sistème, et j’ajoute de nouvelles preuves paur le confirmer. De sorte que ce nouveau Dialague met, pour ainsi dire, le comble an temple que j’ai tâché d’élever a Neuton et à la Vérité. Pour cette dernière partie, Sire, j’ai profité infiniment des écrits et des discours de ce grand homme qui seul devoit présider à votre Académie, comme vous seul devez commander votre armée.
Je vous consacre, Sire, mon travail; il vous étoit dû. C’est Neuton qui a porté jadis mon nom jusqu’à Frédéric; c’est le plus grand philosophe qui m’a introduit à la cour du plus grand prince.
Ce poète qui fait vos délices, comme il faisoit cellcs d’Auguste et de Mécène, nous dit que gouverner les états, et gagner des batailles, approche les mortels du trône de Jupiter, et les rend presqu’égaux aux dieux. Mais à cette gloire il ajoute celle de plaire à ces premiers d’entre les hommes.5 Puisse-je, Sire, mériter cette seconde gloire, pendant que vous êtes tout couvert de la première!
Je suis avec le plus profond respect,
Sire
De Votre Majesté
Le plus humble et le plus obéissant serviteur
ALGAROTTI
à Potzdam ce 14 Nov. 1752.