Scientia - Vol. VII/Science et méthode
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ANALISI CRITICHE
H. Poincaré ― Science et méthode — Paris, Flammarion, 1908.
C’est un troisième volume qui fait suite aux deux autres du même auteur sur «La science et l’hypothèse» et sur «La valeur de la science» dont nous avons déjà eu l’occasion, il y a deux années environ, d’entretenir les lecteurs de cette Revue; et, à part les changements exigés par l’économie du livre et par la nécessité de ne pas entrer en des détails trop techniques, il n’est, de même que ses devanciers, que la reproduction d’essais ou de discours qui ont déjà paru ailleurs.
Les questions qui y sont traitées se rattachent, plus ou moins directement, à des problèmes de méthodologie scientifique; l’origine même du livre indique d’autre part clairement qu’il ne faut pas y chercher un traité systématique, mais plutôt une suite d’anticipations géniales et de brillantes reconstructions historico-critiques propres à éclairer, par endroits, d’une vive lumière, des sujets aussi auxquels l’auteur ne se propose pas explicitement de toucher.
L’ouvrage est divisé en quatre grandes parties, dont la première et la troisième paraissent les plus intéressantes.
Après avoir établi, dans la première partie, la nécessité de faire un choix des faits pour démêler dans le chaos apparent de leur vaste entassement les uniformités qui permettent de les ordonner et de les organiser moyennant un système de lois simples et générales, l’auteur montre que la préoccupation pour l’utile (c’est-à-dire pour le bien futur de l’humanité), de même que l’amour, instinctif chez les savants, pour la beauté harmonieuse des grandes constructions théoriques, mènent aux mêmes critériums directifs.
De cette manière de voir, que Poincaré a manifestée depuis longtemps déjà, on trouvera ici un ample développement, si l’on prend seulement la peine de rapprocher les différents chapitres où il en est question.
Ainsi, dans le premier chapitre, dont le titre est justement choix des faits, la thèse est énoncée et l’auteur, après l’avoir appuyée par plusieurs arguments, en indique en passant une sorte de justification a priori moyennant des hypothèses d’adaptation et de sélection naturelle. Dans le deuxième chapitre, où il décrit en quelque sorte quel sera de toute probabilité l’avenir des mathématiques, il fait remarquer que, si la recherche de l’utile (à laquelle doivent justement tendre les plus grands efforts des savants) était entendue d’une façon trop étroite, elle aboutirait à une stagnation des recherches théoriques et, par conséquent, à un dommage économique. Ensuite, dans le troisième chapitre, qui constitue un intéressant essai de psychologie de l’invention, il a encore une fois recours à sa thèse préférée pour expliquer comment il se fait que les découvertes les plus importantes se présentent à l’esprit humain, non pas à la suite d’efforts soutenus, conscients et conséquents, mais par des révélations soudaines qui éclairent tout à coup ce qui paraissait tout à l’heure inexorablement condamné à demeurer dans les ténèbres.
Le travail conscient ne guide à la découverte qu’en tant qu’il provoque et met en mouvement l’automatisme du moi subliminal. Découvrir n’est que saisir, de toutes les combinaisons qui peuvent se faire d’éléments ou de lois connus, celles qui sont utiles et belles. Or, de toutes les combinaisons que le moi subliminal forme aveuglément, dès que son automatisme est mis en œuvre, la plupart sont dépourvues d’intérêt; c’est là ce qui les empêche d’agir sur la sensibilité esthétique du savant et de monter au seuil de la conscience. Mais il suffit qu’une d’entre elles, par sa beauté harmonieuse, puisse exciter cette sensibilité spéciale, pour que l’attention du moi conscient soit appelée sur elle, pour que, en paraissant à la lumière, elle donne lieu à une découverte importante.
Voilà comment Poincaré, en opposition avec ce que Myers a soutenu dans un ouvrage fameux, évite d’attribuer au moi subliminal un rôle prépondérant dans la recherche scientifique et échappe à la nécessité d’accepter une hypothèse qui lui paraît répugnante.
La troisième partie continue, avec une grande richesse de détails et une rapidité magistrale de forme, la géniale synthèse historique de la mécanique et de la physique mathématique qu’il avait entreprise dans les volumes précédents.
Dans ces derniers, l’auteur montrait comment de la physique des forces centrales on passait à la physique des principes et il indiquait des faits qui laissaient présager une nouvelle crise de la physique mathématique, c’est-à-dire une transformation ultérieure des hypothèses fondamentales au moyen desquelles l’expérience est ordonnée et organisée aux effets de la prévision concrète.
Or, nous trouvons justement ici, tracé par grandes lignes, un vaste tableau des théories mécaniques les plus récentes, et nous voyons comment des expériences et des faits nouveaux les ont forcées à trouver des hypothèses qui contredisent en partie celles qui régissaient la mécanique des Newton et des Laplace.
La crise n’est pas encore résolue et les mécaniques non-newtoniennes n’occupent pas encore dans la science le même rang qu’y tiennent déjà, par exemple, les géométries non-euclidiennes. Mais, quand même elle serait à la fin résolue dans un sens défavorable à la mécanique newtonienne, celle-ci demeurerait toujours, pour les vitesses non excessivement grandes (c’est-à-dire pour celles qui n’atteignent pas l’ordre de grandeur de la vitesse de la lumière), la théorie la plus simple, la plus commode et assez approchée de la vérité pour pouvoir être considérée comme exacte dans les limites de nos observations.
D’autres discussions intéressantes se rencontrent dans les chapitres consacrés au calcul des probabilités et à une application de la théorie des gaz au calcul approché du nombre des étoiles de la voie lactée; mais nous ne croyons pas devoir ici entrer en des détails sur cela.
Nous renoncerons aussi, pour ne pas tomber en des redites, à analyser l’essai sur la relativité de l’espace et ce que l’auteur répète une fois encore à propos du célèbre postulat V d’Euclide. Nous nous arrêterons plutôt sur la recherche des rapports réciproques entre les mathématiques et la logique, qui occupe presque toute la seconde partie de l’ouvrage, et qui en offre les pages les plus spirituelles sinon les plus exactes.
Dans un fort et puissant volume sur les principes des mathématiques publié il y a quelques années, Bernard Russel a énoncé et soutenu, avec une abondance extraordinaire d’arguments, la thèse que les mathématiques pures ne sont qu’une branche de la logique, et il a montré, en particulier, par des développements effectifs, que l’arithmétique, la géométrie et même la dynamique peuvent s’organiser sans avoir nullement recours à l’intuition.
L’ouvrage de Russel a excité, ainsi qu’on pouvait le prévoir, des enthousiasmes fanatiques et des aversions tenaces, mais une critique sereine ne peut trouver que déplacés les uns autant que les autres.
Poincaré, par exemple, rejette le résultat de Russel et consacre à son argumentation un nombre considérable de pages d’une vivacité de forme qui est souvent tout à fait délicieuse; mais il ne paraît pas avoir su bien poser la question.
Pour discuter une thèse comme celle de Russel, sans s’exposer au danger de faire des jeux de mots, il est évident qu’il faut d’abord s’entendre sur la définition de logique et sur celle de mathématique. Or, il semble que Poincaré accepte, pour l’une et pour l’autre, les définitions que Russel a données et, au fait, il ne s’en écarte pas pendant la plus grande partie de sa discussion; mais, que les termes vrais de la question ne soient pas toujours présents à son esprit, cela est démontré entre autre par le reproche de peu d’évidence qu’il adresse à l’un des postulats auxquels Burali-Forti a recours pour démontrer le principe d’induction.
Avant d’accorder que les mathématiques sont un chapitre de la logique, Poincaré exige qu’on lui démontre la compatibilité des propositions primitives de l’arithmétique, sans avoir recours à l’intuition, mais en se servant seulement des lois fondamentales de la la logique pure. Et sur ce point, il ne paraît pas qu’on puisse lui donner tort, car la chaleur seule de la polémique peut avoir entraîné quelqu’un à revendiquer aux définitions le droit d’être éventuellement contradictoires; j’ajouterai même que ce sont justement les logiciens mathématiciens que Poincaré croit combattre qui conviennent pour la plupart avec lui.
Si par domaine de la logique pure nous entendons celui qu’on nommerait mieux de la logique formelle (laquelle fait abstraction de tout postulat existentiel), alors une simple considération a priori nous montre que l’arithmétique (et par conséquent les mathématiques) ne peut pas se réduire à la logique, ce qui a toujours été soutenu par Peano, par Pieri et par beaucoup d’autres savants en logistique; mais si dans le domaine de la logique nous admettons quelques postulats de nature existentielle (et Peano a démontré qu’il suffit d’un seul, savoir celui qui affirme l’existence d’une classe infinie, au moins) alors l’arithmétique, la géométrie et les mathématiques tout entières peuvent être fondées sans avoir recours à l’intuition numérique, spatiale ou physique.
Or, Poincaré ne fait jamais cette distinction, en terme nets du moins, ce qui nuit à la clarté de son argumentation laquelle n’atteint point, ni ne peut atteindre, à un résultat définitif.
Pour éviter des équivoques, il convient de remarquer explicitement que, pour la logistique, l’arithmétique et la géométrie doivent être entendues dans un sens abstrait ou nominaliste, si bien que Pieri, dans un remarquable mémoire sur la compatibilité des postulats de l’arithmétique, parle d’interprétation logique de l’arithmétique plutôt que de réduction de l’arithmétique à la logique. Cela montre nettement la position des logiciens mathématiciens et explique, à mon avis du moins, en quel sens et jusqu’ à quel point la thèse de Russel est plausible; mais cela montre en même temps que cette dernière n’a pas une grande valeur philosophique.
Il n’est pas étonnant, en effet, qu’en bornant le formalisme de la logique et en augmentant celui des mathématiques, on soit parvenu, ainsi qu’on pouvait aisément le prévoir a priori, à faire rentrer cette dernière dans l’enceinte de la première. L’étonnement commence plutôt à se manifester, chez quelques savants du moins, lorsque, par ex., ayant vidé la géométrie de tout son contenu intuitif, on affirme tout court que c’est là et que ce doit être là la géométrie, et que l’on se prend sans façon à discuter.... les vues Kantiennes; ou lorsque, par ex., après avoir bâti à grand’peine une arithmétique fondée seulement sur trois ou quatre propositions fondamentales, on croit utile et convenable de la porter sans plus dans l’école.
A ce sujet il est bon de rappeler ici une observation de Poincaré qui, bien qu’elle ne se rapporte pas à l’enseignement des mathématiques, pourrait justement être répétée pour celui-ci avec de simples changements de mots:
Il y a une chose qui me frappe: c’est combien les jeunes gens qui ont reçu l’éducation secondaire sont éloignés d’appliquer au monde réel les lois mécaniques qu’on leur a enseignées. Ce n’est pas seulement qu’ils en soient incapables; ils n’y pensent même pas. Pour eux le monde de la science et celui de la réalité sont séparés par une cloison étanche.
- Palermo, Università.