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le subconscient 65


l’incorporation de tel ou tel phénomène au sentiment qu’ils ont de leur propre personne. Il est incontestable, en effet, qu’il se fait en nous un certain classement des phénomènes psychologiques: les uns sont rattachés au groupe des phénomènes du monde extérieur, les autres sont groupés autour de l’idée de notre personne. Cette idée, juste ou non, qui est probablement en grande partie un produit de notre éducation sociale, devient un centre autour duquel nous rangeons certains faits, tandis que d’autres sont mis en dehors de nous.

Sans discuter la valeur et la nature de cette répartition, telle qu’elle est faite chez l’homme à peu près normal, je constate simplement que certains malades rattachent mal à leur personnalité certains phénomènes que les autres hommes n’hésitent pas à considérer comme tout à fait personnels. Dans le délire de la fièvre typhoïde, une de mes malades me disait: «Songez donc à mon pauvre mari, qui a si mal à la tête: regardez mes enfants, qui souffrent tant au ventre: on leur ouvre le ventre». Elle rattachait à d’autres personnes des sensations de souffrance que d’ordinaire nous n’hésitons pas à rattacher à nous-mêmes. On rencontre bien plus souvent encore une illusion un peu différente chez ces malades très nombreux que j’ai décrits sous le nom de psychasténiques. Beaucoup d’entre eux répètent sans cesse: «Ce n’est pas moi qui agis, ce n’est pas moi qui ai fait cela, ce sont mes mains qui l’ont fait toutes seules…, ce n’est pas moi qui mange, ce n’est pas moi qui parle…, ce n’est pas moi qui sens, ce n’est pas moi qui souffre, ce n’est pas moi qui entends…, etc.1». Il est facile de constater que chez ces malades les mouvements sont en réalité corrects, que les diverses sensations, même les sensations kinesthésiques et même les sensations viscérales sont parfaitement conservées. Mais le sujet déclare cependant ne pas les rattacher à sa personnalité; dans la mesure où il le peut, il se comporte comme s’il ne les avait pas à la disposition de sa personne. Un malade de ce genre décrit récemment par M. Séglas déclarait n’avoir aucune mémoire, et autant que possible, se conduisait comme s’il avait perdu tous les souvenirs, quoiqu’il fût facile de

  1. Cf. à ce propos les observations que j’ai publiées souvent, Névroses et idées fixes, 1898, II, p. 62; Obsessions et psychasténie, 1903, I, p. 28, 307; II, p. 40, 351.
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