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au long du traité de physique dont la publication s’achève en ce moment. Je défendrai par des arguments a priori la clarté latine contre l’invasion de la soi-disant érudition allemande.

Je reconnais hautement les qualités de nos voisins d’Outre Rhin. Ce sont des travailleurs de premier ordre, laborieux et consciencieux à souhait.

Malheureusement ils ont une étrange idée de la science et de la manière de l’enseigner. Ils nous inondent de leurs traités en 25 volumes épais et compacts. Comme nous autres latins n’avons pas le courage de résister à une telle avalanche d’érudition, de citations, de renvois, de bibliographie, nous risquons d’être submergés et de perdre ce qui est notre caractéristique, l’amour de la logique et de la beauté.

Les allemands ont des qualités que nous n’avons pas; ils ont les défauts qui sont l’envers de ces qualités. Il sont consciencieux et n’élèvent un édifice qu’à grand renfort d’échafaudages, d’étais et de contrétais. Ces appareils leur semblent si beaux qu’ils les conservent indéfiniment, au point qu’on se demande si pour eux l’échafaudage n’est pas l’édifice. Dans leurs traités, ils ne nous font grâce d’aucunes des formes par lesquelles ont passé les théories, si rudimentaires qu’ elles soient. Les allemands sont pieux: il ont le respect de l’effort; nous n’admirons que le résultat. Pour construire l’édifice, des ouvriers se sont usés de travail, d’autres sont morts de chutes ou d’accidents. Nous, latins, refusons les plaques commémoratives qui briseraient l’harmonie des lignes. Les allemands font de leurs traités des martyrologes; ils leur dressent de petites statues à tous les paragraphes de leurs publications.

Or si l’évolution logique des théories physiques et de leurs principes consiste à se sublimer en des formules de plus en plus abstraites, à se transformer en de purs concepts mathématiques, sans pitié pour les savants disparus, sans regret pour les hypothèses intermédiaires, nous devons ne plus conserver que ces concepts, que ces schèmes abstraits. Détruisant les échafaudages énormes, supprimant les poutres nombreuses et encombrantes, nous apercevons enfin l’édifice tout petit qui nous était caché.

Les raisons qui empêchent les savants de consentir sans lamentations à la disparition des beaux échafaudages, sont faciles à démêler et vraiment excusables.