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rels en descendant l’échelle jusqu’à l’esclave du maroc, Feunuque, le chevai, l’àne, la perdrix, la carpe, l’huìtre, jusqu’au zoophyte inclusi- vement. C’est en relisant attentivement votre toute bonne lettre que je sens dans toute son étendue la sagesse de cette philosophie dans laquelle en marquant que vous ne vous ètes jamais applique à l’art de jouir de la vie, vous commencez enfin a vous instruire dans celui de ne pas souffrir; j’aime infiniment à considerer le bonheur sous ce point de vue, car, si le bonheur essentieUement négatif prive de tout jouissance, de toute émotion profonde, il rachète par la durée ce qui manque à son intensité passagère; mais peu d’hommes sont capables d’un tei empire sur leur organisation: il faut l’ensemble de toute l’antiquité pour trouver des modèlets aussi parfaits qu’un Socrate et qu’un Boéce; pourtant qui ne connait les préceptes de bonheur d’un Sénèque? qui a mieux dépeint et enseigné les douceurs de la vie paisible qu’un Jean- Jaccjues? Ouvrons les pages des biographes, ne nous révèlent-elles pas, non obstant beaucoup de vertus, Ics intrigues, les amours, l’ambition et les richesses de l’un? Et puis peut-on avoir eu une existence bizarre, inquiète, plus volontairement orageuse et souffrante que celle de l’au- tre? Rien n’est plus vrai donc que de reconnaitre cet état doublé dans l’intérieur de l’homme et je conclus en revenant à mon texte: que le vrai bonheur humain2 s’accroit en rapport proportionnel du despoti- sme moral sur le domaine de ce principe qui nous pousse à l’héroi'sme, au genie, à l’immortalité, aux ineffables félicités: je veux dire la sensi- bilità. Vous, vous avez déjà bien trop de talent pour ne pas vous sou- mettre sciemment au sacrifice d’une portion d’un pareil bonheur. Mais je dois finir je le vois, car je viens de mettre votre patience à une rude épreuve, conservez-moi, s’il vous plait votre amitié qui m’est vraiment bien chère, donnez-moi de vos nouvelles, parlez-moi un peu de votre santé, de votre genre de vie, de vos occupations. Comment se porte Mr votre onde, le marquis Antici. Et le bon abbé Cancel- lieri? dites-moi aussi si vous en avez le temps, quels sont les Italiens qui on traité les sujets philosophiques avec le plus de succès? Ma petite bibliothèque Italienne ne possède encore rien sur cette Science; rigou- reusement parlant et à défaut d’autres penseurs vous pourriez m’énu- mérer de profonds théologiens, je sais que le pays en abonde d’excel- lens, mais par charité passons outre ceux-ci: ce serait la mer à boire et je ne m’en sens pas le courage adieu.