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crieroit au blaspheme contre celui qui oseroit parler froidement d’une Comédie célèbre, dont le brillant succès conservé par la tradition, est devenu une loi irrévocable. Je ne crois pas cependant que l’on en soit interieurement la dupe. Dans un siècle ou l’esprit philosophique s’étend sur tout, on doit s’appercevoir que cette pièce célèbre qui devoit avec raison amuser autrefois, doit nécessairement étre insipide aujourd’hui, parce qu’elle nous présente des objets que nous ne connoissons pas par nous mêmes, et que, hors du Théâtre, nous ne voyons plus nulle part. Il y a, si je puis me servir de cette expression, un espéce de coutume dans les ridicules qui varie aprés un certain temps, et que le bon peintre doit toujours suivre, pour faire un tableau parfait. Cette matiere demanderoit à être développée, et je me hazarderois de le faire, si cette Lettre n'étoit déja trop longue pour la grossir encore des details indispensables qu’exigeroient les preuves et les exemples qu’il faudroit vous donner. Je me propose en m'instruisant avec vous dans nos entretiens particuliers, de vous faire part de mes reflexions à ce sujet.

Mais je crois devoir vous prévenir ici sur un second sistême plus barbare que le premier, et que le hazard pourroit bien vous faire lire encore. On m’assure que l’on a imprimé quelque part, que la Comédie étoit tellement épuisée, qu’il ne lui restoit plus de ressources que dans le fiel de la satire. Ne croyez pas, je vous prie, Monsieur, pour l'honneur de mes concitoyens, qu'ils adoptent ce principe. On le déteste, on le regarde comme une preuve evidente du manque de talens dans ceux qui l'avancent et qui le suivent. On est persuadé que le genre de la satire est de tous le plus méprisable, comme il est le plus aisé, et il est pour nous, comme pour toutes les nations honnêtes et cultivées, la marque d’un très petit esprit, et d’un très mauvais coeur.

En tout cas s’il étoit possible que ce second sistéme eut pris autant de crédit que le premier, dont l’erreur est sans doute plus excusable parce qu’elle ne vient pas du coeur, vous les détruiriés bientôt l’un et l'autre par votre fécondité et par la variété, la vérité et le naturel de vos caracteres et de vos sujets. Quoique