Pagina:Goldoni - Opere complete, Venezia 1915, XX.djvu/347


335


mais elles sont encor adoptées ici. Par la malheureuse habitude que nous avons d’y rire, nos oreilles et nos yeux ne se feront peut-être pas tout de suite à un comique simple, naturel, raisonnable, mais noble et interessant, et dénué de cet appareil éclatant qui accompagne souvent quelques unes des nos Comédies Italiennes.

Esclaves de ces futilìtés, nous le sommes encor des masques dont votre génie vous a delivré. Vous les avez faìt oublier en Italie, et sans eux on deserteroit en France les Pieces Italiennes. Il est cependant bien aisé de concevoir combien cet antique et ridicule usage nuit à l'art de l'Acteur, et au plaisir du spectateur. Si l'ame est le siége des Passions, le visage en est le tableau, et ses expressions sont toujours plus vraies, plus eloquentes et plus promptes que celles de la voix et du geste. Plus il peut être découvert, plus l'Acteur qui a de l'ame, a des ressources pur rendre toutes les vérités de ses situations, et en remplir le spectateur. Que l’on interroge là dessus nos grands tragiques, les Le Kain1, les Brizard2, etc. On apprendra d’eux qu’ils gemissent quand la loy du Coutume les oblige de porter des Casques, des Turbans etc. qui leur cachent un peu le front, parcequ’alors tout leur art ne peut se développer, et que la moindre partie du visage leur est necessaire pour bien exprimer ce qu’ils sentent. Il n'y a guere de Comédie, quelque bouffonne qu'elle soit, qui ne soit susceptible des memes passions que la Tragédie à quelques nuances près: mais sans parler de la joie, de la crainte, de la douleur, du plaisir, de la colère et de tous les autres sentimens qui appartiennent egalement à l'ame et au visage, je ne parle ici que des effets qui dependent uniquement du visage, comme la rougeur, la paleur etc. peut-on les voir sous un masque? n'eclate-t-on pas tous les jours d’un rire ironique et méprisant chaque fois que Arlequin est annoncé rougir ou palir? L’impossibilité frappante de le remarquer ôte sur le champ l'intérest, et l'intérest ôté, quel plaisir reste-t’il à des gens raisonnables? Je sçais bien qu’il faut que le spectateur se fasse quelquefois illusion sur bien de

  1. Famoso attore del Teatro Francese: v. Goldoni, Mémoires, p. III, cap. 4 (note di G. Mazzoni nell'ed. Barbera, Firenze, t. II, p. 421 ).
  2. Goldoni, l. c.