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elle ne vaut plus rien, que la pensée soit belle tant qu’on voudra; car il faut que vous sachiez que le verbe «chanter», dont les poètes épiques font usage en leurs exordes, se prend en Italie á la lettre, et non pas dans un sens figuratif, comme chez vous ou chez les anglais. Vous autres ne chantez point vos poèmes épiques, comme on chante chez nous ceux de l’ Arioste et du Tasse, comme Pulci chantait le sien á la table de Laurent de Médicis, et comme on chanterait tous les autres, s’il en valait la peine. Il est vrai, comme vous dites, que notre langue ne manque pas de rimes; mais que nous en ayons plus que vous, c’est de quoi vous n’étes point en état de décider. Nous ne pouvons guère rimer des verbes au singulier et au pluriel, au présent, au prétérit, au futur, á l’indicatif, au subjonctif et á l’infinitif, ni des participes au masculin et au féminin, comme vous faites. Ce sont lá des minières de rimes que vous avez, pas moins inépuisables que celles de charbon au nord de l’Angleterre. Il nous faut aller bride en main quand nous voulons rimer des verbes et des participes. Vous rimez aussi des substantifs en «esse» et en «eur» au singulier et au pluriel sans y faire de fa^on. Vous rimez une infinite d’adjectifs masculins et féminins aux deux noms, en «é», en «ent», en «ant», en «ique», en «able», en «ible», en «eux». On trouve une multitude d’exemples de ces rimes dans votre Henriade, tout comme chez Corneille, chez Racine et chez tous vos autres poètes; et cela fait fort bien dans votre langue. Dans la nótre des rimes équivalentes á celles-lá feraient mal au coeur, parce qu’elles sont trop aisées á trouver: ainsi chez nous elles sont soigneusement évitées, si ce n’est par des pitoyables rimeurs. Ceux d’entre nous qui entendent le métier et qui savent donner du plaisir par le mécanisme de la versification, choisissent non seulement les mots les plus sonores et les rimes les moins communes, mais encore les mots les plus éloignés dans leur manière de signifier. Le reste on le laisse aux improvvisatori, auxquels on pardonne tout; ou bien on l’abandonne aux pasteurs d’Arcadie et á leurs colons, tout comme nos paysans abandonnent á la volaille et aux cochons les grappes de raisin lorsqu’ils en ont tire le moút.