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Au reste, c’est une parte irréparable pour l’ Italie que l’Arioste et le Berni ne vécurent pas assez longtemps pour perfectionner les deux Orlando du coté de la versification, eux qui l’entendaient si bien! Tous deux ont encore des vers défectueux en quantité; mais ceux qu’ils ont eu le temps de polir sont si beaux, qu’ils font aisément souffrir tous ceux qui ne sont que médiocres ou mauvais. D’ailleurs les connaisseurs superfins sont rares en Italie comme partout ailleurs.

Nous avons aussi des vers du célèbre Pétrarque, imprimés de mon temps d’après ses manuscrits avec les changements et les ratures qu’il y fit. C’est-Iá qu’on voit ce qui lui en coútait pour rendre sa poesie itali enne harmonieuse. Cette poesie ne renferme guère de grandes choses. Ce ne sont que des petites pensées d’amour pour la plupart, des petits sentiments, des petites images. Mais le langage pur et les beaux vers la rendent plus agréable aux gens de goút que celle de bien d’auteurs, plus remplie de bonnes choses que n’est pas la sienne. J’ai maintes fois imag^né que, si les ouvrages de la fameuse Sapho étaient venus jusqu’á nous en plus grand nombre qu’ils n’ont fait, nos littérateurs les auraient mis des milliers de fois en parallèle avec ceux de Pétrarque. Jamais poète n’a eu tant d’imitateurs que lui: mais qu’est-ce qu’un imitateur?

A l’égard de ces stances que nous appelons «ottave», dont nos poètes épiques se sont servi, il n’est pas possible de dire la force d’esprit qu’il faut avoir pour amener rondement. et sans qu’il y paraisse, les deux troisièmes rimes, c’est-á-dire le cinquième et le sixième vers. Si vous pouviez concevoir la difficulté de dire ce qu’on veut dire, ni plus ni moins, dans cette sorte de stances, vous ne parleriez plus de la difficulté de faire des bons vers fran^ais. Il faut une peine infinie pour s’arréter sur les petits repos qui doivent étre placés á la fin du second, du quatrième et du sixième vers, afin de ne pas fatiguer l’haleine et dégoúter l’oreille du lecteur avant son arrivée au plein repos du dernier vers de la stance. Un de ces repos manqué ou méplacé gate tout. On ne saurait plus la chanter; et quand cette sorte de stances n’est point chantable.