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plus belles tragédies des trois messieurs que je viens de nommer. N’est-ce pas lá un champ plus vaste que celui des fran^ais pour la course poétique? Les pièces de Shakespeare l’emportent sans doute sur toutes les autres. Rien ne saurait lenir contre elles, malgré ses anachronismes, ses erreurs de géographie, ses quolibets et ses autres défauts, amplement rachetés par des beautés qui les font presque disparaítre. Meme dans ses pièces les plus négligées, Shakespeare a un nombre considérable de traits supérieurement lumineux, que jamais personne ne put égaler et n’égalera peut-ètre jamais. Entre ses défauts Fon a toujours compté, l’on compte et l’on comptera toujours, plusieurs polissoneries souvent trop grossières, et monsieur de Voltaire a raison quand il dit que Shakespeare était souvent trop grossier, trop polisson. J’aíme á l’entendre dire et répéter ce que les critiques anglais ont dit et répété depuis plus de cent ans. Mais monsieur de Voltaire n’agit point ingénument en ne disant pas aussi que, de nos jours, on retranche tonte gaillardise de ces pièces quand on les joue, et qu’il y en a méme quelques-unes qu’on ne donne plus, á cause que les défauts y balancent un peu trop les beautés. N’est-ce pas lá une petite preuve que les anglais n’ont point besoin de ces bons avis pour savoir á quoi s’en tenir sur le compte de leur poète?

Mais, si monsieur de Voltaire agit avec un peu trop d’adresse sur cet article et ne dit pas tout ce qu’il devrait dire, il agit avec un peu trop de supercherie lorsqu’il donne pour des échantillons du savoir-faire de Shakespeare des petits traits que Shakespeare n’écrivit évidemment que pour plaire au peuple, et que les critiques ont reprouvé méme longtemps avant que monsieur de Voltaire vint au monde. Serait-on bien juste et bien honnéte si l’on allait faire son procès á l’auteur du Misanthrope sur le sac de Scapin et sur quelqu’autre fadaise de cette espèce? Au lieu de tant s’étendre sur les défauts de Shakespeare, que personne ne lui conteste, n’aurait-il pas mieux fait (s’il peut réellement le fairej d’entrer dans le détail de ses perfections, et dire entre autres choses un petit mot de cette merveilleuse facilité que Shakespeare avait á enfanter des caractères