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Ayez de bonnes bésicles: cela suffira. Quand pourtant vous connaitrez bien les habitants et la langue de l’Angleterre, n’allez pas croire que vous connaítrez Shakespeare. Il vous faudra ancore étudier la langue qui lui est particulière, et qui n’est pas tout-á-fait semblable á celle dont tout le monde se sert du jour á la journée. Celle-ci approche pas-á-pas de votre langue fran^aise. Dans peu elle lui ressemblera comme un oeuf ressemble á un autre, si on y va du train qu’on y va. Ce n’est pas lá le cas de la langue de Shakespeare, qui a un air á elle, un air male, un air de liberté, un air quelquefois un peu farouche, qui lui sied á merveille, mais qu’un étranger ne saisit pas á la háte. Quand vous commencerez á croire que vouz l’entendez, allez souvent voir représenter ses pièces. Vous viendrez á la vérité un peu trop tard pour les voir jouer supérieurement; et c’est domniage. L’acteur qui en rendait si bien les principaux róles a dit adieu au théátre, au grand regret de tout le monde. Mais qu’y faire? Quand il ne veut plus étre á nous, il faut savoir se passer de lui, comme l’on se passe d’une maitresse aussitót qu’elle nous quitte, quoi qu’il en coúte de se séparer d’elle.

C’est-lá, messieurs les frangais, le seul moyen de satisfaire votre curiosi té, au cas qu’elle vous mette mal á votre aise; ce que je ne crois pas. Si vous resterez tranquillement chez vous, et vous en rapporterez au sieur Letourneur, hélas ! Mais si vous voudrez vous en tenir á monsieur de Voltaire, holá!

Monsieur de Voltaire dit á l’Academie fran^aise (^) que «presque tous les mots de la langfue anglaise sont tirés de la fran^aise», et vous allez peut-étre croire sur sa parole qu’il ne vous en coútera g^ère de l’apprendre; mais ne lui prétez jamais foi qu’á bonnes enseignes, quand il vous parie de l’Angleterre et des anglais. N’a-t-il pas dit de mème á l’Academie qu’«une partie de la nation anglaise a erige un tempie á Shakespeare et fonde un jubilé^^) en son nom»? N’a-t-il pas dit dans ses

(i) Dans une long^ue lettre que tout le monde connait et qui a été traduite et publiée demièrement en anglais.

(2) Il a\ait déjá dit dans une lettre á une célèbre actrice: «Les anglais ont établi une féte aniiuelle en l’ bonneur du fameux comedien-poète Shakespeare».