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Attaquons hardiment ce Letourneur, et táchons d’étrangler sa version dans le berceau. Écrivons á l’Académie frangaise, á monsieur D’Argentai, á tous ceux qui nous veulent du bien, ou qui en font semblant. Ils sont en grand nombre. Faisons honte á tout Paris, á toute la France, de son empressement á voir Shakespeare avec d’autres lunettes que les miennes, et décrions d’avance un malheureux, qui vient ternir notre gioire sans peut-étre penser au mal qu’il nous fait!
Voilá, si je ne me trompe, le monologue que monsieur de Voltaire doit avoir fait en révant dans son jardin de Ferney, quand on lui manda de Paris la nouvelle de cette version. Voilá le secret motif de ses invectives envénimées contre le pauvre secrétaire.
Si pourtant j’étais de ses amis, il me serait fort facile d’appaiser ses craintes et de le rassurer sur le malheur dont il se croit menacé.
— Mon cher monsieur — lui dirais-je — calmez-vous et n’ayez pas peur que ce Letourneur porte la moindre atteinte á votre renommée. Parmi ceux qui prendront la peine de lire sa version, que le nombre en soit grand tant qu’on voudra, il n’y aura personne qui veuille aller collationner vos traductions aux siennes. La gent littéraire est en general beaucoup plus paresseuse que vous ne croyez. Il n’y a pas un docte, dans quinze cents, aussí actif, aussi industrieux, aussi infatigable que vous au métier d’auteur, et personne ne s’avisera d’aller comparer des versions, qui n’intéressent áme qui vive. L’on se soucie fort peu, dans tout pays, d’approfondir le mérite des poètes étrangers, et d’apprécier au juste les critiques qu’on en fait. On táche partout d’entendre tant-soit-peu d’un ouvrage fait en vers au delá des monts ou de la mer, uniquement pour avoir le plaisir de le ravaler et de le mettre bien au dessous des nótres. On en dit pis que pendre, ou bien on lui donne des louanges outrées: et cela donne toujours un air d’importance. Jamais un poète n’a la millième partie de la réputation chez les étrangers qu’il a chez lui. L’on sait son nom, et voilá tout. L’on peut en dire tout le bien ou tout le mal qu’on veut, sans qu’on y fasse la moindre attention. Personne ne fait cas des grands ouvrages