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quelque raison bien forte. Quelle donc peut ètre catte forte raison qui a mis monsieur de Voltaire dans un si grand courroux? la raison qui lui a fait écrire deux lettres enragées á ce sujet et táclier d’empécher, par la violence, la publication de cetteversion?

Hasarderai-je ma petite conjecture? L’on dira que je suis malin; mais je pense que c’est la peur qui le rend vaillant. Il sait en conscience qu’il n’a jamais su l’anglais. Il sait par conséquent qu’il a traduit Shakespeare á táton. Supposer qu’il soit assez absurde pour croire lui-mème ce qu’il voudrait faire croire á l’Académie, qu’en encourageant le traducteur de Shakespeare «c’est décourager la jeunesse frauQaise qui cherche á se distinguer au théátre», ce serait lui faire du tort. Monsieur de Voltaire n’est absurde que quand il y trouve son compte, ou qu’il croit l’y trouver. Il sait fort bien qu’on ne décourage personne, si on encourageait tous les traducteurs de l’univers.

Cela pose, voici le raisonnement qu’il fít auparavant d’écrire ses deux lettres.

— S’il arrive — s’est-il dit tout bas — que la version de ce maudit homme prenne et se répande, ce caractère de censeur des anglais, que j’ai tant travaillé pour acquérir, s’en ira tout d’un coup á tous les diables. Je ne manque pas d’ennemis. Les traitres ne manqueront pas de comparer mes traductions de Shakespeare aux siennes, et les trouveront différentes. Ils s’en iront sur le champ dire á tout Paris que je l’ai trompé tout du long sur l’article de ce maudit anglais. Sur cela chacun prendra feu. Tonte cette cohue de barbouilleurs dont la France abonde se jettera sur moi: combien de mátins sur un vieux loup! Comment fermer l’oreille á leurs aboiements? Comment me sauver de leurs dents pointues? J’ai tant bataillé pendant plus d’un demi-siècle, que je n’en puis désormais plus! Oh rage, oh désespoir, oh vieillesse ennemie!

— Mais de quoi vais-je me tourmenter? — continue-t-il, après une courte pause. — Ne dit-on pas que la fortune assiste quiconque a du cceur au ventre? Faisons donc bonne mine á mauvais jeu, et ne restons pas lá les bras croisés comme des bélítres. Puisque les raisons nous manquent, ayons recours á la ruse.