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DISCOURS SUR SHAKESPEARE 217 d’or, qu’aucun Jason venant de l’orient ou du midi ne saurait approcher, tant il est gardé par l’inexorable dragon du nord. La langxie fran^aise par dessus ses sceurs est trop chàtiée, trop scrupuleuse, trop dédaigneuse, pour rendre Shakespeare. Quand on traile dea pensées sublimes, elle ne sait souffrir le moindre mot vulgaire, la moindre transposition un peu forte, la moindre phrase non re^ue ou surannée. Un enjambement dans un vers, une rime qui ne répond pas avec la dernière exactitude, un hémistiche un peu mal séparé de l’autre, y est un défaut insupportable. La langue de Shakespeare est plutót embellie que gàtée par tout cela. Un certain all’antique, et quelquefois sauvage, ajoute mème à ses beautés poétiques. Il est plus libre dans le choix de ses expressions que le vent’sur l’océan, pour le dire à sa manière. Son dialogue est tantót en vers blancs, tantòt en vers rimés, tantót en prose, et n’a tantót qu’un mot ou deux à la place d’un vers. Sa langue se soumet à tout cela sans broncher. Allez, selon le genie de le poesie fran^aise. l’enchaìner dans des alexandrins, qui vous rappellent une procession de moines marchants deux à deux d’un pas égal et grave le long d’un rue droite, vous ne le reconnaìtrez plus. Ce sera faire danser des minuets à qui ne sait que s’élancer comme un cerf. Allez le faire parler en prose tout du long, ce sera un ragoùt sans sei. Le traduirez-vous en vers rimés? Vous lui donnerez des entraves. Le traduirez-vous en vers blancs? Miséricorde! Voyez après cela s’il est possible que la version du secrétaire réussisse à réveiller dans les frangais les mémes idées, les mémes sensations que l’originai réveille dans les anglais! Ne les réveillant point, ce ne sera plus la mème chose: cela est clair. Et n’étant plus la mème chose, ce sera une mauvaise chose, à tout prendre. Mais, mauvaise chose ou bonne chose, aucun fran^ais n’en aura sùrement la jambe gàtée, et monsieur de Voltaire n’avait que faire de sauter aux yeux de son auteur et tàcher de les lui arracher. Cependant les gens ne se mettent pas en colere pour rien. On n’appelle point un homme «maraud» et «faquin», sans