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monsieur de Voltaire sait assez l’anglais pour saisir le vrai sens de ce que Shakespeare fait dire á son monde. Me répondrat-on affirmativement? Et supposons qu’un anglais alla retraduire avec tant soi peu de liberté les vers de monsieur de Voltaire, croyons-nous que les anglais les reconnaitraient bien aisément pour des vers appartenants jadis á Shakespeare?

A l’égard des morceaux qu’il a traduit en prose, il n’a presque jamais manqué de les tourner de fagon á les rendre risibles. En voici quelques exemples tous tirés de la pièce á!’ Hamlet.

L’ombre du roi de Danemark se mentre á deux soldats et s’évanouit presque aussitòt. Cette eflfrayante apparition leur fait croire que quelque grand désastre va bientòt affliger tout le royaume: sur quoi l’un d’eux dit, entre autres choses, ces paroles á son camarade:

A little ere the mightiest Julius fé II

the graves stood tenantless and the sheeted dead

did squeak and gibber in the roman streets.

Il y a trois mots dans ces vers qu’on ne saurait rendre en frangais par trois autres mots: c’est-á-dire les deux adjectifs «tenantless» et «sheeted», et le verbe «lo gibber». Il faudrait une périphrase pour chacun, ce qui affaiblirait le sens. Mais passons sur cela et traduisons-les comme nous pouvons:

Un peu auparavant que le très puissant Jules fut tue,

les tombes restèrent sans habitants, et les morts, enveloppés

[dans leurs tristes robes, firent des cris et parlèrent entre eux un langage inintelligible

[dans les rues romaines.

Monsieur de Voltaire traduit ainsi : «Du temps de la mort de Cesar les tombeaux s’ouvrirent, les morts, dans leurs linceuls, crièrent et sautèrent dans les rues de Rome». Le verbe «to squeak» a bien une autre force en anglais que n’a le verbe «crier» en frangais, particulièrement au prétérit, quand il est précède par l’auxiliaire «af/rf»; mais il est impossible de faire