raître, j’y vois entre ciel et terre la forme colossale d’un poète sans nom, ne serais je point dupe, par hasard, de la même illusion optique dont le sommet du Brocken est le théâtre? Mon grand poète ne serait-il que l’ombre agrandie, la vaine et risible image de moi-même, de mes idées, de mes amours, peut-étre aussi, comme quelqu’un pourrait le penser, de mes ambitions? Franchement, il est inévitable que cela soit en partie, que dans ma vision idéale d’un grand poète il y ait un élément subjectif. Heureusement, j’ai la conscience très nette et très rassurante de la part qui en revient à tant d’esprits d’autre envergure que le mien. Si cet être humain que j’entrevois dans la brume de l’avenir n’est qu’une image réflétée, vous pourrez au moins y reconnaître des traits qui vous sont familiers et il vous sera impossible de nier leur grandeur dans l’original. Je n’ai nullement besoin de citer le vieil Horace qui tout en montrant aux poètes futurs les règles de leur art leur parlait en termes magnifiques de la mission civilisatrice du poète et l’appelait sacer interpresque Deorum. Je ne m’arrêterai pas non plus sur le portrait d’un poète futur esquissé an xve siècle par Du Bellay, portrait où l’expression de la dignité morale est aussi soignée que l’expression de l’intelligence; je ne vous rap-