grands poètes il y en a d’autres, heureusement en très petit nombre, qui ont aussi mis un art supérieur au service d’une haute conception de leur rôle et qui ont pourtant exercé sur les hommes une action tout à fait contraire. Lorsque je pense à eux, c’est l’histoire de Moïse, l’envoyé de Dieu, opérant miracle sur miracle, et des sorciers du Pharaon d’Égypte lui en opposant de pareils, qui me revient à l’esprit. Vis-à-vis des grands poètes qu’une mystérieuse énergie progressive a fait paraître sur la scène du monde, les énergies régressives en ont fait paraître d’autres. Tel est Lucrèce, l’athée et épicurien Lucrèce, le plus original, le plus puissant des poètes latins, dont certains traits rappellent fort le poète sublime du livre de l’Ecclésiaste. Je m’empresse d’affirmer ici que tel n’est pas Leopardi, malgré le sombre pessimisme de son œuvre. Nul doute que le pessimisme n’exerce une influence contraire au progrès. Il nous suffit, lorsque nous sommes souffrants, d’arrêter la pensée sur nos souffrances, de nous en affliger sans relâche, pour qu’elles empirent. Mais le pessimisme de Leopardi n’est pas le fruit d’une froide philosophie, il est la plainte amère d’un infortuné que ses larmes aveuglent, il nous serre la cœur mais il n’a point de prise sur notre raison. Et cette âme de poète est si candide! Cet homme qui en se tordant de douleur insulte la