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soient mes capacités, je pourrais encore faire mieux que ce Thesau- rus. Cependant je ne désespère pas, et lors de mon voyage prochain en Allemagne je ferai tout pour y ètre convenablement fixé et placé. Ma position ici a tout l’avantage d’un extérieur brillant, assez d’ap- pointements de quoi vivre honorablement, avec cela une correspon- dance étendue avec l’étranger. Ce serait on ne peut mieux pour un jeune hommc de 20 ans; mais moi qui en ai 32, le temps des illusions est complètement passé; il me faut un avenir. En Suisse, à Berne, où l’on donne dans tout les travers d’une liberté nouvellement acquise, il n’y a rien pour moi qui suis revenu des rèves de l’àge d’or. Ici il n’y a pas de quoi fuetter un chat avec le Grec. Dieu sait comment tourneront les affaires en France? Pour moi j’en ai vu assez pour en ètre completement dégouté. Jamais, croyez-m’en, je connais ce pays depuis 12 ans, jamais la France ne fera quelque chose de bien que pour elle mème. On ne se doute pas à l’étranger, de la corruption morale de nos grandes sommités politiques. Ambition et argent voilà leur bui. J’ai salué avec des acclamations de triomphe le nouvel ordre des cho- ses, mais à presenti Enfin n’en parlohs plus. C’étaient des rèves d’une belle matinée d’été. C’est donc en Allemagne que je cherche à me caser. Placé là soit comme professeur soit comme Bibliothécaire, j’oublierais les grands événements du jour, et je publierais des livres savants, non sans doute, parce que je croirais avancer la Science, moi chétif, mais parce que cela me ferait plaisir; cela me ferait oublier le temps qui court, cela serait un amusement, innocent sans doute. Je partirai vers la mi-Juillet avec le jeune Pasquier; nous allons à Vienne et delà à Berlin, et je serai de retour à Paris sur la fin d’Octo- bre. Tàchez de gràce de m’écrire encore avant mon départ. Dans ma dernière lettre je vous ai chargé de commissions, mais je vous ai dit aussi que vous n’aviez qu’à les refuser toutes, sans que pour cela notre sincère amitié en souffre la moindre atteinte. Ce qui est certain et ce que vous savez déjà, mais ce que je ne saurais assez vous répéter, c’est que vous devez avoir rencontré beaucoup de personnes mille fois plus à votre niveau, mais je ne pense pas que vous ayez trouvé beaucoup de plus sincères amis que moi. Un moment je nourrissais l’espoir de vous revoir cet automne. M. de Mourawieff voulait m’engager pour élever son fils. Mais voilà que l’enfant a du aller en Russie. Mon principal but était de me retrouver près de vous. - Vous ètes maladif, je le sais, mais quand vous le pour-